Blog

Manager : Mission impossible

Ou une mission à réinventer ?

L’on ne peut que partager les constats dressés par philippe d’Iribarne dans le texte de sa conférence au séminaire Managers d’octobre 2024. J’ai le plus grand respect pour philippe d’Iribarne et pour la qualité de ses travaux. Il n’en demeure pas moins que je suis étonné, pour ne pas dire plus, du fait qu’il ne soit pas conclu par le fait que l’ensemble de ces constats rendent aujourd’hui tout bonnement impossible de manager.

Les injonctions qui sont tirées de chacun de ces constats : « En conséquence le manager doit …, doit …., doit … ». Le manager qui effectivement devrait tenir compte de toutes ces évolutions sociétales et générationnelles tout en poursuivant les objectifs de l’entreprise devrait tout bonnement être historien des changements sociaux, sociologue, psychologue voire à l’occasion psychiatre, économiste, ergonome, ergologue, et que sais-je encore … Dur !  Dur ! Ou plutôt et tout bonnement impossible.

Une mission qui devient protéiforme et omnisciente

L’auteur affirme bien « Si les managers ne possèdent pas ce capital culturel et cette capacité d’adaptation, ils risquent de ne pas être à la hauteur des attentes ». Mais le peuvent-ils ? D’autant que l’auteur reconnait dans le même temps : « La situation est d’autant plus complexe que les jeunes générations recherchent un équilibre entre les « je » et « nous » sous des formes variées et souvent instables … Ils doivent jongler avec des attentes variées et des besoins variables de stabilité des collaborateurs, selon les profils individuels, leur logement, leur vie sociale, etc.». Bon courage à qui tentera de manager dans ces conditions !!!
A l’impossible nul n’est tenu. Il serait nécessaire de le dire et d’en tirer les conclusions.  

Psycho affectif ou Responsable ?

Une des injonctions faites à ce manager new look laisse interrogateur : « Les managers doivent désormais considérer les collaborateurs dans leur globalité — « corps, esprit et âme » — car les ressentis psycho-affectifs influencent de plus en plus les comportements au travail et tendent à prendre le dessus sur les situations objectives. »

Que le manager ait à considérer ses collaborateurs dans leur totalité devient un incontournable. Par contre la dernière partie de l’injonction inquiète : « …les ressentis …. tendent à prendre le dessus sur les situations objectives ». Dès lors si la situation objective est (dé)niée au profit du ressenti ne doit on s’attendre à tous les débordements ?

Ne vaut-il pas davantage dialoguer pour accéder à l’objectivité des situations et tout faire pour que chacun accède à la réalité des faits et des situations.  C’est là le propre de l’éducation et de la maturité.
Veut-on des managers qui managent des « psycho-affectifs » et les encouragent dans cet affectif ou des acteurs responsables ?  « Responsable » dont j’aime détourner l’étymologie pour pointer le « res »- la chose et sa réalité -, qui l’introduit. Est responsable celui ou celle qui prend en compte la réalité et qui base son action sur cette réalité. Seule cette réalité prise en compte lui permettra de « tenir sa promesse » qui est l’étymologie exacte de « Responsable ».

Faire Société, réellement et en toute considération.

Pour ma part, et de manière toute simple, il me parait naturel et nécessaire que le manager considère ses collaborateurs au sens de les prendre en considération, ce qui est, tout bonnement, prendre en compte et respecter l’autre. Cela s’appelle ici encore prendre en compte la réalité du collaborateur. Comme on le doit de tout interlocuteur que l’on soit manager, collaborateur ou tout citoyen responsable.

Inversement il appartient à chaque collaborateur de tenir compte de la réalité de la situation et de s’efforcer d’en prendre la vue la plus large et complète possible et de l’intégrer dans ses décisions et actions. Il gagnera à intégrer notamment le fait qu’il n’est pas seul (livré à sa psycho affectivité). Par définition il collabore au sein d’une entité (la société) au sein d’un écosystème et il y est responsable.
A l’entreprise et au management de permettre cette responsabilisation porteuse à la fois d’un épanouissement personnel et … de la performance (la preuve en est faite comme le rappelle , entre autres, Fabrice Gatti dans ses livres « L’Autruche et le Curieux «  et « SOS Travail sous tension » (à paraitre le 10 novembre) ou encore dans cet entretien accordé à RéSolutions Hebdo.

Soyons (réellement) responsables de notre œuvre commune.

C’est finalement cette injonction que je ferai au manager d’aujourd’hui comme d’hier et comme de demain. C’est en fait une injonction qu’ils peuvent s’adresser à eux-mêmes en même temps qu’à leurs équipes : « Prenons ensemble la mesure de la réalité et ensemble collaborons à partir de cette réalité pour œuvrer à la délivrance de la promesse que notre entreprise fait à son marché !

Ainsi recadrée, la mission du manager (re)devient possible.

Vous appréciez. Merci de partager.

14/11/2024 – Seconde interview exclusive de Fabrice Gatti

Fabrice Gatti nous a fait l’honneur et l’amitié d’accorder à Solutions une première interview pour fêter le 300 -ème numéro de Solutions Hebdo. Il succède, dans cette série des Grands entretiens de RéSolutions à François Dupuy (100 ème numéro), Yves Richez (150 ème numéro) et Ibrahima Fall (250 ème numéro)

Dans le prolongement de son ouvrage « L’Autruche et le Curieux » paru en avril 2023, Fabrice Gatti nous y a retracé l’origine et le cheminement de sa réflexion et de son analyse qui le convainc que nous sommes aujourd’hui à un point de rupture. Un point de rupture qui rend possible désormais l’adoption de nouveaux modes de management et d’organisation alors que leur nécessité est apparue depuis bien longtemps déjà.

Dans la poursuite de ce travail de recherche et de praticien, il vient de faire paraitre son dernier ouvrage « S.O.S Travail sous tension » le 13 novembre aux éditions Erick B.  Nous l’avons lu en avant première et nous recommandons vivement sa lecture pour la clarté des analyses qui y sont présentées, pour la qualité et la profondeur des travaux de recherche qui les sous-tend et pour les pistes et outils d’évolutions qu’il nous y propose loin des modes et en fuyant tout dogmatisme.

Un grand merci à lui de nous offrir ainsi, pour « reféconder le management et les organisations », les outils les outils nécessaires à leur « reset » au moment où le système est en passe d’afficher  » Game over ! « .

.

 

Solutions Hebdo :

Votre livre « S.O.S. Travail sous tension » qui vient tout juste de paraitre prolonge les réflexions et analyses initiées dans votre livre précédent « L’Autruche et le curieux ». En quoi et comment, pour vous, ce dernier livre vient enrichir votre réflexion et vos propositions et en quoi marque-t-il pour vous une étape importante de votre travail ?

Fabrice Gatti :

Ce nouvel ouvrage marque une étape essentielle pour diffuser les résultats de mes recherches. Plus concis que le précédent, et conçu comme un guide pratique, il vise un public élargi, directement concerné par les enjeux quotidiens du travail, de la motivation, de la santé et de la performance, tant individuelle que collective. Le travail de terrain dans des PME et des grands groupes autant que les lectures complémentaires et échanges avec des auteurs comme David Harvey, Ibrahima Fall, Roland Gori, Yves Richez par exemple sont comme un ciment venant solidifier les fondations de mon approche basée sur l’interdépendance entre contexte, Leaders et acteurs d’un système. 

Solutions Hebdo : Dans la longue histoire de l’évolution de nos sociétés, vous faites des années 80 et de son néolibéralisme triomphant les parrains et marraines de l’« Empire C4 » que vous condamnez. En quoi cet Empire Capitaliste, Comportementaliste, Commandant, Contrôlant  impose-t-il, selon vous, « sa vision mécaniste et déshumanisée du monde » et quelles en sont les conséquences ?

Fabrice Gatti :

L’Empire C4 plonge ses racines dans la révolution industrielle du XIXe siècle, qui a fait passer nos sociétés de l’ère agraire et artisanale à celle du commerce et de l’industrie. Dans ce contexte, des pratiques organisationnelles contrôlantes et purement quantitatives ont vu le jour, visant à standardiser le travail, à encadrer strictement les individus par des règles et des procédures rigides, et à récompenser ou sanctionner selon les performances. Jusqu’aux années 70, bien que ce système n’encourage pas l’épanouissement, un pacte social tacite offrait une stabilité de l’emploi et la perspective d’une ascension sociale grâce au principe de méritocratie.

Avec la crise des années 70, le néolibéralisme s’est progressivement substitué au keynésianisme, et sa philosophie est devenue hégémonique après la chute du communisme. Ce modèle, qui place le capital avant le travail et se concentre sur la maximisation des profits, a rompu ce pacte social, engendrant des conséquences dramatiques : manipulations financières, licenciements massifs, inégalités croissantes, crises psychologiques, et désastres écologiques. En changeant unilatéralement les règles du jeu, les organisations ont provoqué le désengagement progressif des collaborateurs, qui cherchent à se protéger dans cet environnement devenu toxique, où la promesse d’un épanouissement par le travail n’est plus qu’un lointain souvenir.

Solutions Hebdo : Vous insistez sur la glorification qui y est faite des valeurs et buts extrinsèques (pouvoir, richesse, beauté). Vous soulignez le rôle central des valeurs qui fondent nos sociétés et sont l’étalon de nos décisions et de nos actions. Le changement que vous ressentez comme désormais possible alors même qu’il est ressenti comme nécessaire depuis bien longtemps (rappelons que le rapport Meadows remonte à 1972) ne se fera que par un changement de notre système de valeurs. Pouvez-vous rappeler la vaine course dans laquelle nous entraînent  les valeurs extrinsèques et nous commenter les valeurs que, à leur exacte opposé, vous appelez comme nécessaires à la re-fécondation de la société et à l’épanouissement des individus ?

Fabrice Gatti :

De nombreuses recherches à travers le monde, montrent que l’influence majeure de la nature des buts poursuivis influe sur notre santé, notre épanouissement et notre capacité d’entraide et de coopération. En valorisant uniquement des buts extrinsèques compensatoires par nature (pouvoir, richesse, ascension sociale, apparence), le système actuel ne satisfait pas (ou que partiellement) nos besoins psychologiques fondamentaux, générant motivation de type contrôlée, fragilité mentale et individualisme exacerbé. L’étude de Harvard menée sur 75 ans montrent clairement que le statut social, la richesse, la réussite professionnelle ou la célébrité ne sont jamais la raison du bonheur d’un sujet ou les causes de son malheur. En contraste, les buts intrinsèques regroupent les aspirations liées à l’acceptation et la croissance personnelle, le développement de relations personnelles profondes, la participation au bien – être de la communauté. Stimulant le dynamisme interne, Ils sont positivement associés au bien être psychologique (vitalité, plaisir, estime de soi, satisfaction…) tout en réduisant l’anxiété et le doute sur ses capacités. Il ne s’agit pas d’un idéalisme béat mais d’une constatation : L’environnement influence profondément le bien-être et les comportements des individus. Dans un système néolibéral où l’individu est poussé à se concentrer sur ses aspirations égocentriques, nous créons un monde violent et autocentré, incompatible avec une performance durable et une responsabilité collective. Donald Trump, symbole de cette dynamique, en est un parfait exemple..

Solutions Hebdo : Vous nous appelez à « sortir du confort de nos croyances » et à « déconstruire les mythes autour de la motivation et de la nature humaine ». C’est là le cœur de votre livre et le ferment indispensable de la transformation nécessaire de nos sociétés. Comment et quand cette conviction vous est-elle apparue et en quoi a -t-elle réorienté et donné tout son sens à votre travail ?

Fabrice Gatti :

Cette conviction est née dès mon adolescence. Je me souviens du plaisir intense que j’éprouvais à m’entraîner des heures au tennis, à me plonger dans des livres de science-fiction, à observer la nature, ou encore à ressentir des émotions puissantes en écoutant de la musique. À l’inverse, j’abordais mes études à l’école comme une contrainte, les lectures classiques me paraissaient ennuyeuses, et mon professeur de piano m’a définitivement découragé de cet instrument.

J’ai ressenti ce même phénomène dans ma vie professionnelle : certains environnements me semblaient oppressants, me faisaient douter de mes capacités, tandis que d’autres expériences m’inspiraient, me poussaient à m’investir sans compter, et renforçaient ma confiance en mes compétences. C’est là que j’ai commencé à comprendre, par expérience directe, la différence fondamentale entre motivation autonome, motivation contrôlée, et amotivation — distinction que j’explore en profondeur dans cet ouvrage.

Solutions Hebdo : Vos travaux vous conduisent à faire de l’autonomisation des individus ce vers quoi doivent tendre nos organisations. Une autonomisation indispensable pour le plus grand épanouissement des personnes mais également (et vous le démontrez) pour le plus grand profit de nos organisations (école, hôpital, entreprises, …).  Vous faites de cette autonomie le pont entre les besoins des individus et ceux de nos organisations notamment en en faisant le préalable à l’engagement des individus. Comment l’expliquer ? 

Fabrice Gatti :

Chaque individu dispose de facultés naturelles qui lui sont propres et qui demande un environnement spécifique pour pleinement s’exprimer.  Nous avons également 3 besoins psychologiques fondamentaux :  1/ nous sentir efficace et progresser dans nos actions (besoin de compétence), 2/ être relié à nos pairs et entretenir des interactions positives et régulières (besoin de relation) 3/ agir de manière autodéterminée, c’est-à-dire être en congruence avec nos choix plutôt que manipulés par des forces extérieures (besoin d’autonomie).

Les recherches menées à l’échelle mondiale, tant en psychologie qu’en anthropologie, montrent que l’autonomie — à distinguer de l’indépendance — est cruciale pour le développement optimal des individus. En cultivant une motivation autonome, elle stimule le dynamisme interne, l’envie de progresser et renforce la santé psychologique ainsi que le sentiment de réalisation personnelle. Malheureusement cette autonomie est malmenée au quotidien dans les sphères professionnelles, scolaires et familiales. La société moderne tend à nous priver de la capacité de penser, et donc d’agir de manière autodéterminée : Comme le souligne de nombreux auteurs dont Roland Gori « La civilisation technique, par son principe même, est impersonnaliste. Elle exige de l’homme une activité, mais elle s’oppose à ce qu’il soit une personnalité ». Dans un environnement toxique, il est naturel de voir se multiplier le désengagement, la souffrance et le repli sur soi.

Solutions Hebdo : Vous insistez avec pertinence sur le fait qu’« une organisation ne peut fonctionner sur un mode de pensée plus complexe que celle de son dirigeant ». Aussi est-ce là le levier (oh combien difficile) de la transformation. Il y va d’un changement du système de valeurs du dirigeant, des valeurs qui sont l’étalon de ses décisions et de ses actions. « Il faut aider les dirigeants à sortir de leur pensée logique et abstraite issue du stade de la réussite pour adopter une vision plus complexe et objective du réel. » Comment actionner ce levier ?

Fabrice Gatti :

Pendant des siècles, l’humanité a cru à tort que la Terre était plate. Ce n’est qu’en changeant cette perception et en acceptant sa nature sphérique que nous avons pu résoudre des problèmes jusque-là inimaginables. Il en va de même pour notre compréhension de l’humain et des organisations. Pour espérer revitaliser les organisations et ressourcer les individus, il est essentiel de fournir aux dirigeants, managers, DRH et éducateurs une connaissance approfondie du fonctionnement humain. En leur permettant d’acquérir une compréhension plus fine de l’interdépendance entre contexte, leaders et acteurs, nous leur donnons les outils pour observer leur environnement — et eux-mêmes — avec plus d’objectivité. Ils peuvent ainsi reconnaître quelles pratiques managériales favorisent ou sapent les besoins fondamentaux de compétence, de relation et d’autonomie, quels comportements personnels sont favorables vs défavorables à l’engagement des collaborateurs et à la stabilité de leurs systèmes.

Depuis quelques années, j’ai développé un programme expérientiel destiné aux dirigeants, qui combine la compréhension de leur propre fonctionnement et l’observation de leur environnement. Ce programme leur permet d’expérimenter personnellement des conditions favorables à leur épanouissement. Ils réalisent alors que si ces conditions sont bénéfiques pour eux, elles le sont également pour leurs collaborateurs. Cette prise de conscience ouvre un espace de réflexion et d’action pour adapter les pratiques managériales en fonction de leurs objectifs stratégiques et des besoins humains fondamentaux, offrant ainsi une nouvelle voie vers l’engagement et la performance durable.

Solutions Hebdo : Vous concluez avec réalisme sur la difficulté de cette transformation et sur sa durée nécessaire. Par réalisme vous soulignez que dans cette période de transition deux mondes vont coexister (l’actuel et le nouveau en devenir). Comment envisager une telle cohabitation, tant ces deux mondes sont opposés ? La force et la puissance du néolibéralisme laissera-t-il éclore ces nouvelles valeurs sans les reprendre à sa main et les travestir avec ses injonctions « Sois heureux, Sois toi-même, Développe -toi ? ». Comment envisager-vous cette période de cohabitation et ses conséquences ?

Fabrice Gatti :

L’élection récente de Donald Trump à la présidence des États-Unis semble illustrer la vigueur du système néolibéral. Mais il est souvent vrai que les nouvelles voies émergent lorsque les anciens systèmes touchent à leurs limites, et je pense que le néolibéralisme approche de ce point critique. Ce système est confronté à des crises économiques, sociales et environnementales qui le rendent insoutenable à long terme.

La transformation viendra par la prolifération d’initiatives alternatives, en marge du modèle dominant, qui agiront comme une pollinisation de nouvelles pratiques. À l’image de la coexistence passée entre Néandertal et Sapiens, nous vivons déjà une période de transition, où les modèles actuels et émergents coexistent et parfois s’affrontent. Les enjeux planétaires — qu’ils soient écologiques, migratoires ou sociaux — créeront une pression croissante pour adopter des modèles plus équilibrés sur les plans individuel, collectif et environnemental.

Bien sûr, il existe un risque que le néolibéralisme cherche à récupérer et à transformer à son profit les nouvelles valeurs, les travestissant en slogans comme « Sois heureux », « Développe-toi ». Mais plus cette période de cohabitation se prolonge, plus les contradictions du système en place deviennent évidentes, poussant les individus et les organisations vers des changements profonds et sincères. Cette cohabitation est donc à la fois un défi et une opportunité pour voir naître des valeurs authentiques et adaptées aux défis du XXIe siècle.

 Solutions Hebdo : L’approche que vous développez auprès des dirigeants que vous accompagnez vise à créer un environnement propice à la motivation autonome des acteurs du systèmes porteur d’un engagement à la juste dimension des talents de chacun. Vous insistez de manière primordiale sur cette notion de « talents » en y posant avec Yves Richez » un regard différent de celui qui lui est traditionnellement porté. Cette approche des talents et ses conséquences en termes de leur développement dynamique et essentielle. Elles me paraissent être, portée dans un contexte propice par l’automotivation l’aboutissement naturel de votre travail.

Fabrice Gatti : En effet, le croisement des travaux d’Yves Richez sur le potentiel et le talent avec ceux de Deci et Ryan sur l’autodétermination offre un éclairage précieux pour ressourcer les individus et les organisations. Aujourd’hui, la notion de « talent » est souvent limitée à une vision identitaire et statique (« elle a du talent », « il est talentueux »), qui pousse les organisations à adopter des pratiques inefficaces, voire contreproductives, générant ainsi frustration et souffrance.

Comme le dit Yves Richez, le talent n’est pas quelque chose que l’on possède ; c’est quelque chose que l’on produit. L’enjeu est donc de sortir d’une vision ontologique du talent pour en faire un potentiel dynamique, utile à la fois à la réalisation personnelle et à la performance collective. En observant plus de 8 000 personnes, nous constatons que chacun déploie de manière constante des « facultés naturelles » qui lui sont propres. C’est la rencontre de ces facultés naturelles avec un « CUP » (Configuration, Utilité, Potentiel) spécifique qui permet d’activer et de produire du talent.

Pour maximiser cet effet, il est essentiel que les agents socialisants — enseignants, entraîneurs, managers, DRH, dirigeants — soient formés à reconnaître et évaluer objectivement les facultés naturelles de chacun. Cela permet de placer les individus dans des environnements favorables, où ils pourront utiliser pleinement leurs compétences naturelles.

Dans le dernier chapitre de mon livre, je détaille les étapes clés de cette dynamique : lorsqu’une personne prend conscience de ses facultés naturelles, qu’elle les utilise dans un contexte (CUP) favorable, elle développe une motivation autonome qui stimule sa vitalité et son apprentissage. Cette dynamique conduit à un accroissement des compétences, source d’épanouissement et de stabilité mentale.

Au quotidien, j’aide les organisations à adopter cette approche en sortant de la vision figée du talent. En développant une compréhension profonde de leur propre environnement et en créant un cadre qui soutient les besoins fondamentaux de compétence, de relation et d’autonomie, elles peuvent devenir des espaces d’épanouissement individuel et collectif, rendant ainsi le système traditionnel obsolète.

***

Un grand merci à Fabrice Gatti pour ces entretiens et pour le plaisir et le profit pris à lire vos deux ouvrages. Nous leur souhaitons le plus grand lectorat comme incubateur du changement de nos systèmes de valeurs en inoculant au plus grand nombre des valeurs enfin intrinsèques condition du « reboot de nos pratiques. »

 

 

Vous appréciez. Merci de partager.

 » Je questionne, donc Nous sommes »

L’art et l' »essence » de poser une question

Un grand merci à Paolo Andreassi qui nous offre une synthèse des principaux messages du livre de Edgar H. Schein  « Humble Inquiriy » ou l’art de poser humblement des questions.

Ce livre explore l’art de poser des questions avec humilité pour construire des relations de confiance et améliorer la communication. Pour ma part et en préambule à ces conseils avisés, il me parait nécessaire de revenir à l’essentiel, à l’essence de ce qu’est « poser une question ».  A savoir la prise en compte et le respect de l’autre. L’intérêt que l’on prend à l’autre tant par humanisme que tout pragmatiquement dans son propre intérêt. « Son » valant tant pour soi que pour l’autre. Tant il est vrai que l’un et l’autre y trouvent leur intérêt bien compris et bien entendu.

La reconnaissance de l’autre et l’accès à une réalité augmentée

Que ce soit par pur pragmatisme ou par humanisme (les deux pouvant cohabiter avec profit), l’humble prise en compte de l’autre, de son point de vue, de ses attentes, de sa motivation est un indispensable révélateur de la réalité d’une situation que nous vivons ensemble, nous tous ses parties prenantes. Ce questionnement et l’écoute humble et réelle des réponses nous en offre une vision « en relief » de sa réalité. Une vision et une prise en compte de l’intelligence des acteurs parties prenantes du système (cette intelligence des acteurs au fondement de la sociologie) qui conditionne la pertinence et l’efficacité de nos actions, sachant qu’aucune de nos actions est indépendante du système dans lequel elle intervient et des acteurs qui y participent.

Toute équipe est multiculturelle

L’un des exemples donnés et valorisés dans le livre est celui d’un chef d’équipe multiculturelle qui prend le temps de comprendre les différentes perspectives culturelle de ses membres sur l’autorité et la confiance. Reconnaissons que toute équipe est par nature est multiculturelle et soucions nous de chacun de ses membres en étant conscient des multiplicités des aspirations et des points de vue.

Un indicateur de questionnement

Le malheur est, dans un monde qui privilégie l’action et le faire, de constater la faible fréquence de ces humbles et respectueux questionnements. Ils sont pourtant la conditions d’une action efficace. Et cela est tellement le cas, qu’il m’est arrivé de proposer à un Comité de direction de mettre en place un indicateur de questionnement pour juger de l’efficience de son fonctionnement.  Un indicateur de la fréquence de questionnement lors de la tenue de ces réunions. Un indicateur autoporteur d’une évolution vers ce questionnement humble et intégrateur et une indicateur formateur. Poser une question plutôt que d’asséner une affirmation nécessite un changement fondamental de sa façon de penser et de s’interroger. C’est d’ailleurs là une des vertu que je reconnais à la pénétration de l’IA, laquelle nous force à configurer une question et à préciser très exactement une question si l’on veut en obtenir une réponse pertinente et utile.

L’autre, questionné et reconnu dans ses finalités

Reconnaitre cette intelligence des acteurs, nous incite à nous intéresser et donc à questionner l’autre sur ses finalités et attentes : que recherche-t-il dans cette situation ? Qu’est ce qui motive son action et sa prise de position ? Un humble et respectueux questionnement, sans jugement pour aboutir par une réelle et humble écoute, à une réelle prise en compte de ces réponses et aboutir ainsi à une action concertée qui est le propre de l’agir dans un but commun.

***

Alors oui, reconnaissons que :

« Je questionne, donc Nous sommes »

 

Vous appréciez. Merci de partager.

Quelle finalité pour l’entreprise ?

Réencastrons l’entreprise dans la société.

« Si la fin (notamment dans l’entreprise) justifie les moyens, qu’est ce qui en justifie la fin ? : l’habitabilité du Monde. Michaël V. Dandrieux

Ne faites pas comme moi, qui en croyant m’être trompé en tombant sur une conférence d’architecture d’intérieur m’apprêtais à changer de chaine alors que je me visionnais cette conférence (1) sur Youtube. Je suis resté et je m’en suis bien trouvé tant cette conférence m’a enrichi et … habité 😉).

Une sociologie de l’imaginaire qui met l’entreprise au centre de la civilisation.


Michaël V. Dandrieux en tant que « sociologue de l’imaginaire » convaincu comme tel que « ce qui fait société ce n’est pas la partie humaine rationnelle, l’officielle, ce qui est dit et montré mais sa partie non rationnelle, ce qui est caché, le non-dit, le promis, le cru, … ».
Sociologue en entreprise il voit en l’entreprise un acteur essentiel de la civilisation comme structure à même d’apporter les solutions aux problèmes du monde. Il y faut toute fois savoir répondre à la question posée par le philosophe Norberto Bobbio qu’il cite fort à propos « Si la fin justifie les moyens, qu’est-ce qui justifie a fin ? » (Ca sert à quoi ce que je fais ? Pourquoi est on en train de faire ce que l’on fait ? …)

Le pas de côté sociologique quant à notre représentation de l’entreprise.

Aussi nous encourage-t-il à questionner, par le « pas de côté » du sociologue, nos certitudes et évidences notamment quand au rôle et à la configuration de l’entreprise. En écho à son séminaire à Sciences Po intitulé : « l’habitabilité du monde », il apporte sa réponse : « Ce qui justifie la fin c’est de rendre le monde plus habitable ». A l’appui de sa conviction, il nous questionne avec un exemple : « Est-ce que les courses en 10 minutes rend le monde plus habitable ? »
J’en retiens ces quelques messages :
La digitalisation apparue dans les années 90 a obligé l’entreprise à se transformer. Aujourd’hui, une nouvelle partie prenante entre dans l’entreprise : la société civile et l’oblige à se changer. Loin du récit « Possibilist » de la côte ouest des Etats Uni (« Tout e qui peut être fait sera fait. Alors autant que je le fasse moi. Eme si c’et mal. Ce n’est pas le sujet ») et du Friedmanisme qui l’a enfanté, il affirme qu’ «aucune organisation humaine ne devrait faire quelque chose qui ne participe pas à l’habitabilité du monde ». Dans cette perspective « le métier de l’entreprise est d’identifier des problèmes de société et de leur apporter des réponses de manière profitable tout en ne profitant pas de la création de nouveaux problèmes ( vidéo 42’06’’ – 42’41’’).

Des entreprises responsables du monde qu’elles permettent par leurs produits et services.

Il en découle cette affirmation majeure : «Aujourd’hui les entreprises ne sont pas uniquement responsables des produits et des services qu’elles mettent en marché. Elles sont responsables du monde que ces produits et services autorisent. Elles sont responsables du monde qu’elles autorisent et de tout ce que les gens vont en faire. »

Réencastrer l’entreprise dans la société.

 

Voilà bien un salutaire pas de côté qui nous invite à nous déprendre de nos évidences quant à la finalité et au rôle de l’entreprise alors même que de nombreuses « vibration d’alerte » résonnent autour de nous appelant à « réencastrer l’entreprise dans la société » en prenant l’exemple de la « vibration Golberg » qui informent les termites à cesser leur excavation du tronc au moment où l’arbre risque de s’effondrer, évitant ainsi que leur habitat qu’elles détruisent ne s‘effondre sur elles.
Des entreprises qui, dans cette acceptation, relèvent de l’économie (Oikonomia : le bon usage des ressources de la maison) et non de la chrématistique (l’art d’acquérir la richesse quels que soient les enjeux).

Un appel à une écologie de l’esprit.


Aussi et en synthèse, convenons avec l’anthropologue Gregory Bateson qui affirmait dès les années 70 qu’il n’y pas de crise écologique mais bien une crise dans notre manière d’entrer en relation avec les autres et les choses. Une crise qui appelle une écologie de la pensée.

Nous espérons par ces quelques lignes vous avoir persuadé qu’il vous faut regarder cette conférence dans son intégralité (68’).
Bien cordialement avec un très grand et bien sincère merci à Michaël V. Dandrieux.

(1) Conférence de Michaël Dandrieux : L’habitabilité du Monde. IMATECh – La Machine à innover – 2022

Vous appréciez. Merci de partager.

LA question sans réponse.

Jean-Philippe Denis, dans une de ses chroniques, nous rappelle que « Diriger, c’est aussi l’art de se poser les bonnes questions« . Nous pourrions rajouter que cette invite concerne chacun d’entre nous tant il est vrai que  » De diriger « Se diriger c’est, aussi l’art de se poser les bonnes questions »

Pour ma part j’ai une question qui m’habite depuis longtemps : “Qu’est ce qui fait que l’on se pose une question ?” Une étudiante à qui je m’en ouvrais m’a désarmé en me répondant : “Mais monsieur c’est simple. C’est quand on n’a pas la réponse !!!”

C’est bien un art de (se) poser de bonnes questions et, que je sache, l’art, à la différence d’une science et d’une technique, ne s’apprend pas. Aussi de là à le maîtriser !!!??

L’on peut effectivement s’armer avec profit d’une panoplie de questions qui aident à la réflexion, comme le propose avec pertinence Jean-Philippe Denis. Des questions telles que : “Comment pourrions-nous améliorer cela ? », « Qu’est-ce qui manque dans notre analyse ? ». Ce sont là de salutaires béquilles à la réflexion mais de là à trouver LA question. LA BONNE question , celle qui ouvre à l’inconnu et à l’inexploré. De celles qui, selon la belle formule de Jean-Philippe Denis “ mènent à des découvertes là où les réponses ne sont finalement que des conclusions temporaires.

Dans ce domaine, rappelons qu’un des exercices pratiqués en traitement de la perte de mémoire et des facultés cognitives est de donner à la personne une réponse et de lui demander de trouver une question qui lui correspond. Voilà un excellent moyen de s’inventer le plus grand nombre de béquilles : trouver les questions dont on connait la réponse.

Ces questions que je qualifie de béquilles sont des questions qui ressortissent à ce qu’évoquait mon étudiante : des questions pour quand on n’a pas la réponse, mais que l’on a la question. En effet, se poser la question de savoir « comment on peut améliorer cela ? » présuppose que l’on sait que, peut-être, on peut améliorer cela mais sans savoir encore comment.

LA question elle ne relève pas du monde des béquilles, mais de l’invention et elle est elle-même une invention avec tous les mystères de ses origines et la fulgurance de ce qu’elle apporte dans notre exploration de l’inconnu et dans notre quête du sens de notre monde.

Finalement, cette question, LA question, n’est ce pas celle pour laquelle, à un moment donné de la science et du savoir aucun de nous n’a la réponse ? …. Ce qui donne raison à l’apparente ingénuité de mon étudiante.

Un grand merci à  Jean-Philippe Denis pour cette occasion qu’il nous donne de nous questionner et pour les liens qu’il nous offre comme autant de ressources pour pousser la question un peu plus loin.
Bien cordialement.

Vous appréciez. Merci de partager.

Consultant : la question qui fâche !

Il y a à lieu de s’interroger sur le terme même de « Consultant ». Il convient de s’y intéresser non par pure gourmandise lexicale et/ou grammaticale mais bien par l’ouverture que cette interrogation offre sur la pratique même du conseil.  Une ouverture qui questionne le dialogue entre le consultant et son client et qui offre autant de pistes pour enrichir ce dialogue et accroitre encore la valeur de l’intervention. Une ouverture qui conduit à définir précisément, en s’attachant à la signification des mots, ce qu’est ou devrait être un consultant.

« Consultant » et « Consultation » ou « Qui consulte qui ? »

Le terme de « Consultant » questionne. La forme quasi gérondive rendue par la terminaison en « ant » interpelle.

Cette interpellation m’est venue il y a maintenant bien longtemps. A l’époque tout jeune consultant, quelle ne fut pas ma surprise, alors que j’avais, à titre personnel, un rendez-vous à l’hôpital. Alors que je m’y rendais en voiture, je m’y garais sur une place marquée « Consultant ». Je m’y garais non en tant que «consultant » mais en tant que … « consultant », du moins le croyais-je étant venu justement consulter dans cet hôpital.

Grammaticalement, et en poussant plus avant cette interrogation, nous pouvons nous étonner que « Consultant » ne s’écrive pas « Consultent » comme cela est le cas d’un « Président » … qui présidant une réunion est qualifié de  «présidant ».

Lexicalement, et pour tenter de nous y retrouver, il convient de s’intéresser à la notion de « Consultation ».

Or le terme “consultation” renvoie à l’idée de solliciter des avis, des conseils ou des informations auprès d’experts ou de pairs et indique clairement et précisément que, dans le cadre d’une consultation, le consultant est … consulté et donc non … consultant.  On sollicite une consultation et l’on donne une consultation.

Manque de chance, voilà qui ne me dit toujours pas où je dois garer ma voiture sur le parking de l‘hôpital !

La consultation est le terrain à l’interface entre le consultant « consulteur » (le client qui pose sa question) et le consultant « consulté » qui a vocation à y répondre.

La double dimension de la consultation : un savoir élaboré et une décision délibérée 

Deux dimensions sont à prendre en compte dans le cadre d’une véritable consultation : 1. Le savoir élaboré  par le dialogue nourri au cours de la consultation et 2. La délibération, la co-élaboration de la solution décidée.

A nouveau l’étymologie vient à notre secours. Consultation trouve son origine dans le mot latin « Consultatio » dont le double sens est … plein de sens : 1) question posée à quelqu’un et 2) action de délibérer, processus de réflexion et de prise de décision.

Un savoir élaboré

Le consultant, au sens propre du terme, n’est pas un vendeur de solutions toutes faites disponibles sur étagère. Dès lors, les solutions qu’il pourra proposer nécessitent-elles une analyse préalable de la situation permettant sa compréhension partagée avec le client pour qu’ensemble, ils élaborent et conviennent des solutions à y apporter.

D’ailleurs, s’il est honnête, même le vendeur de solutions sur étagère devra(it) s’assurer que la situation du client correspond à la situation très spécifique pour laquelle sa solution toute faite convient.

Aussi, le consultant (dans son sens grammatical que nous privilégions) n’est pas le fournisseur d’une expertise de solution et d’un savoir préexistant qu’il délivrera au client. Sa valeur apportée est dans l’élaboration d’un savoir décrivant, comprenant et expliquant la réalité de la situation du client et du problème auquel le client se dit confronté et dans les évolutions qui peuvent être envisagées pour y faire face et agir.

Une décision délibérée

Si la décision revient et doit revenir toujours au client, une consultation est bien (ou doit être), par l’interaction nécessaire entre le client et le consultant, une délibération. Elle sera d’autant plus à valeur ajoutée qu’elle fournira les modalités nécessaires à une prise de décision pertinente et efficace en adoptant pour cela le processus optimal de décision.

Et c’est là que le terme de « consultant » dans sa dimension « gérondive » de « en train de » tenant à sa terminaison « ant » trouve tout son sens et toute sa valeur.

La solution s’élabore au cours de la consultation par l’interaction du consultant et de son client dans le respect du préfixe interactif « con » « avec ».

La difficile acceptation de l’interaction de la consultation.

Cette difficulté lexicale a la vocation de pointer le cœur même de la consultation qui est demandée et du dialogue singulier qui s’établit entre « le consultant consulté » et « le consultant consulteur ». J’utilise cette formule à dessein car elle pointe une interrelation essentielle qui existe et doit exister entre le « consulté » et le « consulteur », bref et pour être tout à fait clair et grammaticalement exact, entre le « consultant » et le « consultent ».

Et c’est souvent là que l’un et l’autre peuvent, précisément, avoir du mal à s’entendre.

La tension monte rapidement entre le client impatient d’avoir la solution du consultant et le temps perdu, selon lui, par le consultant qui cherche par ses questions à comprendre la situation et à investiguer le problème.

J’ai ainsi du, lors d’une réunion tendue avec un comité de direction d’un client, à devoir interpeller le dirigeant qui s’impatientait de mes questions et lui demander : « Vous feriez confiance à un médecin qui ne vous poserait pas de question alors que vous le consultez ? »

Toute consultation nécessite une investigation.

Consulté sur un problème rencontré par son client le consultant  se doit de questionner la réalité du client pour la comprendre et poser un diagnostic et élaborer les pistes de solution.

Dans le même temps, le prospect ou le client n’a qu’une hâte, celle de voir son problème résolu par la solution qu’il achète au consultant. S’il a fait appel à lui c’est pour son expertise. Ce qu’il achète c’est une solution qu’il souhaite obtenir le plus rapidement possible.

Aussi, bien souvent, ce client refuse-t-il toute dépense de temps et d’énergie qu’il estime perdue à l’investigation du problème que tout consultant non charlatan et non faiseur de pluie ne manquera pas de lui proposer.

La réalité du problème : le problème est le problème

Le savoir à élaborer s’attachera, avant tout, à la compréhension du problème tant il est vrai que pour reprendre la formule de Michel Crozier reprise par le regretté François Dupuy récemment disparu : « Le problème est le problème ». Et si la question posée n’était pas la question qui se pose ?

Voilà bien une question qui peut fâcher. Une question qui est propre à entretenir la haine d’un client à l’endroit de ces consultants qui n’arrêtent pas de poser des questions au lieu de répondre directement à la question qu’il lui pose.

Non contents de lui faire perdre du temps par leurs questions, ces consultants en arrivent alors à lui suggérer que la question posée n’est pas la bonne !!! Vade retro !!!

Ce dilemme est à prendre en compte par le consultant … et par le client.

Loin de s’en gausser, de la regretter et de s’en attrister, le consultant (le vrai) aura à cœur de tenir compte de cette réaction de son client. N’est-elle finalement pas naturelle de la part d’un entrepreneur ou d’un dirigeant qui doit souvent réagir rapidement sous la sollicitation de son environnement et dont la raison d’être est dans l’action, dans une action qui ne saurait attendre.

Le client, quant à lui, à moins qu’il ne soit, selon la belle formule d’Ibrahima Fall, « un enjambeur du réel » comprendra que la compréhension réelle de la réalité de sa situation est indispensable à la pertinence des évolutions nécessaires à la réussite de son entreprise.

Il aura à cœur de s’assurer que le consultant qu’il contacte est dans cette recherche de sa réalité et non dans la suffisance de recettes tout terrain et soit disant universelles. C’est dans l’échange préalable avec ce consultant qu’il s’en assurera en mesurant l’humilité et la pertinence des questions de ce consultant dans son approche du problème.

Le respect mutuel entre le client et son consultant résultera de cet ajustement entre leurs attentes réciproques. Le client, comprenant tout le profit qu’il en retirera, s’investira dans les réponses qu’il apportera aux questions du consultant. Le consultant, conscient de la réticence naturelle de son client  s’efforcera à débusquer les facettes de la réalité de la situation du client non encore explorées par celui-ci.

Les questions créatrices de valeur pour le client.

Aussi, au-delà d’une nécessaire prise en compte du contexte du client et de ses spécificités, le consultant s’attachera à questionner le client et sa réalité en se focalisant sur les angles morts de la réflexion de ce dernier. Le savoir élaboré résultera en grande partie des réponses du client aux questions qu’il ne s’est justement pas posées jusqu’ici.

La réponse du client aux questions portant sur ces angles morts et leur mise en cohérence avec les composantes qu’il prenait en compte jusque-là feront toute la valeur du savoir ainsi élaboré. Un savoir  indispensable au cœur de la délibération qui mènera à la décision quant 1) au problème à résoudre et 2) aux pistes de solutions à retenir.

Aussi le tout premier travail du consultant sera, avec profit pour son client, d’identifier les angles morts de la réflexion de ce dernier, les domaines non abordés par lui, domaines qu’il aura ignorés soit par pure ignorance soit par erreur d’analyse.

Mais alors gare, pour le consultant, à la fatuité du donneur de leçon. Le but du consultant n’est pas de confronter le client à son erreur et/ou à son ignorance mais bien de l’amener à considérer et à voir sa situation et sa réalité dans une vision « dévoilée », plus globale et pertinente.

« Vous voulez que je vous dise l’heure qu’il est ?« 

Le consultant n’est, finalement, pas très loin de s’exposer à la plaisanterie bien connue. Elle définit le consultant comme quelqu’un à qui vous demandez l’heure et qui, pour vous répondre, vous emprunte votre montre.

Mais, en tant que consultant, et pour que cette plaisanterie n’en soit pas une, il convient de la compléter par cette question : «  Je vous le dirai avec plaisir mais permettez moi de vous poser une question : pourquoi me demandez vous l’heure alors que vous avez une montre ? »

 

 

Vous appréciez. Merci de partager.

De la relation de confiance avec ses parties prenantes.

 

Un article partagé sur Linkedin pose la question de savoir « quelles sont les stratégies pour établir un lien de confiance avec les parties prenantes d’une organisation à but non lucratif ? »

La réponse à cette question vaut pour tout type d’organisation qu’elle soit à but non lucratif ou lucratif et elle se trouve dans le concept même de « parties prenantes ». Elle . La simplicité apparente du concept cache en fait toute sa richesse et ses multiples dimensions. Il convient de s’y arrêter un instant.

Les parties prenantes d’une organisation sont les acteurs (internes et externes) qui prennent part au projet de l’organisation et en permettent l’éclosion, la survie et son développement.

De l’intérêt bien compris pour toute organisation de prendre soin de son écosystème

En tant que tel,  il est de l’intérêt bien compris de l’organisation d’identifier ses parties prenantes essentielles et d’en prendre le plus grand soin par la prise en compte des besoins et attentes de celles ci. Il s’agit tout simplement et en tout bon sens de se soucier de l’écologie de l’éco système de l’organisation et de son système.

Sachant que la stratégie d’une organisation est la définition des voies et moyens de sa survie et de son développement au sein de son écosystème, cette prise en compte du concept de parties prenantes et sa réelle intégration par chacun des collaborateurs de l’organisation est LE PREALABLE à sa stratégie.

Si ce concept est réellement intégré et vécu par chacun dans l’organisation, les décisions et actions de l’organisation seront en permanence dictées par cette reconnaissance de la contribution de la partie prenante à la réussite de l’organisation. Il conviendra de s’en assurer en pilotant et en monitorant ces relations avec chacune des parties prenantes identifiées comme stratégiques.

Dans le même mouvement, l’organisation gagnera en intégrant cette notion à l’ensemble des relations entre ses acteurs internes. Elle y gagnera une profitable et salutaire évolution de son management et de son fonctionnement par la prise en compte et la reconnaissance des contributions réciproques des différents acteurs au sein de l’organisation.

Une difficulté spécifique pour une organisation non lucrative.

Cela vaut pour toute organisation qu’elle soit à but lucratif ou non lucratif. Toutefois, dans le cas d’une organisation à but non lucratif, la conscience que ses parties prenantes sont la condition de sa survie et de son développement peut paraitre plus directement accessible que dans le cas d’une organisation à but lucratif. La difficulté pour une telle  organisation peut être plus grande à se projeter pour identifier ses besoins et attentes, dans les chaussures d’une partie prenante qui elle est bien souvent à but lucratif. Là est la difficulté principale pour une organisation à but non lucratif, envisager et intégrer les schémas mentaux et les représentations d’une partie prenante dont les référentiels sont fondamentalement différent des siens et dont les valeurs peuvent dans certains cas ne pas correspondre aux siennes.

En se gardant d’oublier les parties prenantes internes à l’organisation.

Il est intéressant de remarquer que les concepts de « Partie prenante »  et de « Partenaire » sont la plus part du temps non assimilés l’un à l’autre alors qu’il sont étymologiquement sinon équivalents, du moins dans une grande proximité. Le concept de  » Partenaire » (du lat. partitio «partage, division, répartition») est l’aboutissement normal d’un prise en compte de la part prise par la partie prenante au succès de l’organisation. Aussi ces deux concepts s’ils sont réellement intégrés finissent par se rejoindre et se confondre en donnant au concept de « partie prenante » toute sa richesse et sa force qui sont au fondement même du concept d’entreprise.

 

Vous appréciez. Merci de partager.

Et si la démocratie en entreprise était là où on ne l’attend pas ?

Dans une de ses tribunes Ibrahima Fall nous invite à réfléchir sur l’application de la démocratie au monde de l’entreprise. Une de ses questions interroge : « Si la conception du bien public propre à tel ou tel parti politique est une fiction, que dire de la conception du bien propre à telle ou telle entreprise privée ou publique ? ».

La démocratie est la possibilité de la confrontation de points de vue divergents sur le bien public.

Le danger et la remise en cause de la légitimité de la démocratie tiennent dans la tentation d’un ou des partis de faire de cette confrontation le moyen d’imposer son point de vue au détriment des autres et sans prise en compte de ses impacts sur l’ensemble des parties prenantes, invitées au banquet républicain. Un bien commun que chacun des partis tente, dès lors, d’instituer et de poser comme LE bien commun.

Questionner la démocratie interroge la notion de « Parti » qu’il est instructif de rapprocher et de confronter à la notion de « Partie prenante ».

Qui dit « Parti » dit « Parti pris ».

Une des définitions du « parti » est : « Groupe de personnes unies contre d’autres en raison de leurs opinions communes. » Ainsi, la notion de « Parti » renvoie-t-elle à un attachement à certaines opinions et encourt le risque d’une dictature (qui justement « dicte » la pensée commune). Simone Weil que cite Ibrahima Fall le rappelle : « Un parti est en principe un instrument pour servir une certaine conception du bien public … La tendance essentielle des partis est totalitaire, … elle impose la recherche de la puissance totale. ».

 Le « Parti » et la « Partie prenante »

Le débat démocratique n’est possible que par la prise en compte réelle, attentive et respectueuse de l’ensemble des parties prenantes au projet républicain. Les deux mots, bien que partageant une racine commune, sont bien souvent diamétralement opposés. L’un est « renfermement » quand l’autre est « prise en compte et intégration ».

L’entre-prise et ses parties prenantes.

Et c’est là que l’on rejoint le monde de l’ »entreprise »et de l' »entreprendre » propre à toute action quelle soit politique ou entrepreneuriale au sens de toute création de valeur par la mobilisation de ressources.

Toute action est portée par les représentations et convictions de son entrepreneur et vise, sur ces bases, un futur voulu que l’action entreprise vise à construire. La prise en compte des seules convictions et intérêts de l’entrepreneur indépendamment des impacts de ses décisions sur les parties prenantes à son entreprise conduit inéluctablement à l’échec de cette dernière quand elle ne condamne pas même son lancement.

Une « Partie prenante » est au sens propre du terme « qui prend part au projet commun ». Une partie prenante l’est par sa contribution au projet. Un projet qui dès lors est un projet commun. Comme telle, elle est un contributeur à la survie et au succès de l’entreprise laquelle par pur bon sens pragmatique et intéressé se devra, en retour, d’en prendre le plus grand soin.

Loin de toute dimension moralisante, la prise en compte des attentes et conditions de survie et de développement des parties prenantes de l’entreprise est la condition de l’existence de l’entreprise tant de sa survie que de son développement. C’est simple et évident. Mais qui en a réellement et continument conscience ?

La démocratie non des partis mais des parties prenantes.

Aussi la démocratie en entreprise ne peut être envisagée que dans le cadre élargi de son écosystème et ne saurait se confiner dans l’enceinte de l’entreprise par un partage entre soi de sa gouvernance.

Cette démocratisation est non seulement possible mais inéluctable par la nécessaire ouverture du projet entrepreneurial à ses parties prenantes.

Aussi, loin de la recherche de la puissance totale d’un parti (qu’elle soit patronale, salariale, syndicale ou … celle des soviets), cette démocratisation incite à l’humilité et à la reconnaissance de la contribution de chacun des contributeurs du projet de l’entreprise et à leur prise en compte.

La contribution.

La notion de « partage » est souvent associée à la notion de démocratie en entreprise. Et c’est là pour beaucoup un grand repoussoir tant chacun de nous est a priori partageux en intention mais peu en acte. Et, au-delà du répulsif du terme, la question est de savoir sur la base de quoi un tel partage devrait se faire.

Plutôt que de parler de partage parlons de reconnaissance de la contribution de chacun. Cette reconnaissance nécessite l’intégration de la notion même de « contribution ». La contribution est la « la part prise activement au projet ». Ce qui rejoint directement la notion de « partie prenante ». Et cela, accessoirement, pose en miroir la nécessité pour voir sa contribution reconnue, d’être effectivement … contributeur.

Une notion sous-évaluée et comme telle dépréciée.

Cette notion, dans le monde d’entreprise qui, notamment depuis les années 1980, magnifie le portrait de l’Entrepreneur, leader omnipotent, ne fait pas partie du vocabulaire vernaculaire du monde managérial.
Les entrepreneurs totémiques de notre monde actuel à l’exemple, entre autres, des dirigeants des GAFAM oublient, en écrivant leurs mémoires tout à leur gloire, de rendre hommage aux recherches, inventions et financements publics et privés qui ont permis le développement fulgurant de leurs entreprises.  Le mythe du créateur de génie sorti de son garage ou de sa chambre d’étudiant passe sous silence l’écosystème qui a permis cette sortie du garage. Le remarquable et passionnant documentaire de Cédric Tourbe diffusé récemment sur Arte  » Capitalisme américain, le culte de la richesse » nous le rappelle dans son troisième volet : »Qui veut gagner des milliards (1981  aujourd’hui) »

L’Homme pour la démocratie… un homme intéressé!

Cet homme dont la démocratie à besoin n’est pas l’homme qui met ses intérêts personnels derrière l’intérêt général comme le voudraient des démocrates rêveurs éveillés.

Tout d’abord parce que le danger est grand à prétendre vouloir définir l’intérêt général si ce n’est par la dictature et en imposant le point de vue d’un seul, le point de vue du plus puissant.

Et plus fondamentalement, parce qu’il est naturel, quitte à choquer en le disant, que l’action de chacun soit dictée par l’intérêt qu’il y prend et espère en retirer. Pourquoi sinon entreprendre la moindre action et dépenser en pure perte l’énergie et les ressources consommées dans toute action. Le gaspillage et la dilapidation ne sont pas des principes d’action recommandable. C’est dans  l’intérêt attaché à l’action que chacun entreprend que tient la validation de cette action.

Cet intérêt se doit évidemment de respecter les guides légaux et réglementaires posés par la société. De plus, cette action sera d’autant plus « intéressante » qu’elle prendra en compte et associera étroitement les contributeurs à sa réussite. Il y va de son intérêt, un intérêt bien compris.

« Intérêt » et « Contribution », même combat.

« Intérêt » et « contribution » se complètent par leur respect mutuel et réciproque. Mais à bien y regarder, ils finissent par s’imbriquer l’un dans l’autre, voire, de manière surprenante, par s’identifier l’un à l’autre. Mon intérêt sera à la hauteur de ma contribution à cet écosystème. L’intérêt que je retirerai de mon action sera d’autant plus grand que sera grande la contribution de mon action à mon écosystème. CQFD.

La démocratie en entreprise ou le royaume de la contribution et de la déclaration de ses droits et devoirs.

Ibrahima Fall propose en conclusion de son billet de « faire converger l’ensemble des parties prenantes sur la nécessité de prendre soin du travail réel ». Je partage cette invitation et l’étends au-delà de la seule, mais indispensable, prise en compte de « la performance et de la santé des travailleurs » à celle de l’ensemble des parties prenantes et comme telle contributive du projet de l’entreprise. Une reconnaissance qui implique et oblige, avec la même humilité, tant le contributeur que le « contribué »

Est on sûr que c’est là une évidence ? Si seulement !!!

L’effort parait simple tant cela devrait tomber sous le sens. Il est, en fait, colossal par les nécessaires changements de représentions qu’il implique. A commencer par celui de la reconnaissance … de l’autre et de tout ce que nous lui devons. La démocratie commence tout simplement mais fondamentalement par là. Et qui peut, en son âme et conscience affirmer qu’en toute circonstance il s’en est fait une règle de conduite et qu’il respecte cette règle en toute circonstances ?

Vous appréciez. Merci de partager.

L’entreprise aux bons soins de son écosystème.

Comme bien souvent, un grand merci à Marc Giget et à ses Les Mardis de l’innovation qui, par l’intérêt et la diversité des thèmes abordés, méritent, semaine après semaine, la plus large audience. J’invite qui est intéressé par le thème des conditions de survie et de développement des entreprises à visionner la présentation que Marc Giget a consacrée à ce thème.

L’entreprise : la structure sociale la plus résiliente

Le thème de la résilience est particulièrement pertinent lorsqu’on l’applique à l’entreprise :

 » L’entreprise fait le lien entre ces connaissances technologiques et scientifiques et la société qui elle aussi bouge, vieillit, devient plus mobile, plus internationale, plus multiculturelle…. Par nature l’entreprise fait le lien entre deux mondes en évolution. Elle doit se recaler tout le temps, sinon elle va décliner. Une autre sera mieux adaptée...C’est théoriquement la structure sociale la plus résiliente.  » « A condition de s’y être préparé », ajout-t-il.

Tirant les enseignements de l’étude qu’il a mené  » Pérennité, innovation et résilience des entreprises  » il s’est attaché à identifier les facteurs clés de leur résilience. L’illustration ci-dessous en présente une synthèse que Marc Giget détaille dans son intervention.

La solidarité avec les clients et fournisseurs

Parmi ces facteurs, Marc Giget pointe notamment (en s’en étonnant positivement) l’attention que les entreprises résilientes de son étude portent notamment à la qualité et à la pérennité de leurs relations à leurs fournisseurs. Cela me parait en effet un facteur fondamental et finalement pour ma part j’y vois le facteur clé de la pérennité et du développement des entreprises comme de tout organisme vivant.

L’attention et le soin portés à son écosystème

Étendus à l’ensemble des « parties prenantes » de l’entreprise cette prise en compte et ce soin sont la condition de survie et de développement de l’entreprise et de tout projet.

Dès lors, le titre de cet article « L’entreprise aux bons soins de son écosystème » trouve-t-il tout son sens qui tient à son double sens. L’entreprise est dépendante de son écosystème dont, par pur et simple bon sens, elle se doit de prendre le plus grand soin.

L’écologie de l’écosystème de l’entreprise et de tout projet

A bien y regarder, l’ensemble des facteurs pointés par cette étude participent de cette attention et de ce soin. Alors oui et dans une démarche « écologique » (et indépendamment de toute doxa moralisante (cette moraline de Nietzsche) et par pur bon sens et loin de toute bien pensance prenons soin de l’écosystème de notre entreprise. Il y va de son développement qui .. commence par sa survie. Celles et ceux que ce thème intéresse pourront se reporter à cet un article qui lui est consacré : « L’écologie de votre écosystème d’entreprise« .

A nouveau un grand merci à Marc Giget et à son Institut pour cette occasion de réflexion et d’échange. Bien cordialement,

 

Vous appréciez. Merci de partager.

Manager(s) de confiance.

1. La confiance au cœur du management.

La chronique de François Dupuy « Confiance et management : une approche sociologique. » parue dans le HBR du 7 novembre 2023 aborde avec pertinence la question de la confiance et de ses implications en termes de management. Cette chronique nous offre opportunément l’occasion de poursuivre notre propre analyse de la nature réelle de la confiance et du pouvoir du manager.

Loin du verbiage auquel donnent lieu trop souvent dans la littérature managériale contemporaine ces notions de « leadership » et de la « confiance », François Dupuy nous offre des perspectives d’analyse intéressantes par son éclairage sociologique du rapport entre la confiance et le management : « Confiance et management : une approche sociologique. »

2. Le dilemme du manager : la prévisibilité ou le pouvoir.

François Dupuy observe que la confiance accordée ou non aux managers par leurs équipes est basée sur la prévisibilité des décisions et actions de ces managers. Il en tire dès lors la question de savoir si le manager pour gagner la confiance de son équipe doit devenir prévisible et pointe la possible réticence du manager à le faire de crainte de perdre une partie de son pouvoir.

Le manager se trouverait ainsi confronté à un dilemme qui lui serait propre : « Il lui faut, à la fois être prévisible pour établir une relation de confiance tout en conservant par sa maitrise d’une incertitude pertinente pour son équipe une part de pouvoir nécessaire à l’exercice de ses responsabilités.  Il a un arbitrage à faire entre ces deux nécessités. ». Ce qui amène François Dupuy à conclure ainsi : «  Il nous faut reconnaître et accepter cette notion concurrente de la notion de confiance et du pouvoir. »

3. Mais de quel pouvoir parle-t-on ? Parle-t-on de Prévisibilité ou d’Arbitraire ?

Selon cette analyse le manager, en étant prévisible, peut craindre de perdre de son pouvoir. Mais de quel pouvoir parle-t-on si ce n’est, dans ce cas, celui de l’arbitraire ?

Ce qui est à dénoncer et à déplorer derrière cette imprévisibilité est moins son imprévisibilité que l’arbitraire qui l’anime. Dès lors, être digne de confiance, passe pour un manager, comme pour tout individu et en toutes circonstances, moins par la prévisibilité de ses décisions et de ses actions que par sa lutte contre leur arbitraire.

François Dupuy évoque que, pour les philosophes, « adopter une posture éthique est le fait de renoncer à l’incertitude de son propre comportement ».

Ce qui est à dénoncer dans cette incertitude est moins le fait que la décision et l’action soient incertaines car non connues à l’avance mais bien qu’elles soient arbitraires. L’arbitraire, étymologiquement, renvoie moins au fait d’être imprévisible que d’être motivé par le seul intérêt d’une personne.

Aussi, rassurons les managers : en étant digne de confiance le manager n’a pas à craindre de perdre de son pouvoir. Il n’y perdra que l’arbitraire de ses décisions et de ses actions.

4. Feriez-vous confiance à qui ne pense qu’à soi et à ses propres et exclusifs intérêts ?

Il ne me paraît pas que le détenteur d’un pouvoir doive arbitrer entre son pouvoir (qu’il perdrait en étant prévisible) et la confiance qu’il inspire à ses collaborateurs ou collègues.

Dès lors, la prévisibilité d’un comportement d’un individu ou d’une organisation ne serait pas le marqueur de la confiance que l’on peut ou non leur accorder. Si cette prévisibilité, dans certains cas, peut en être effectivement un des attributs, elle n’en n’est pas le marqueur identitaire. Cette imprévisibilité n’est que la conséquence du fait que l’individu non digne de confiance ne décide et n’agit qu’en fonction de son seul intérêt.

Einstein nous le rappelle dans « Comment je vois le monde » (1949) : la valeur d’un homme se reconnait au fait qu’il ne pense et n’agit pas prioritairement et uniquement en pensant à lui. « Pour connaître l’authentique valeur d’un homme, il faut se demander à quel degré et dans quel but il s’est libéré de son moi »

5. La motivation de la confiance : pour quoi fait-on confiance ? Et quand le devons-nous ?

Il est nécessaire de revenir tout simplement à ce qui fonde la confiance. Pour quoi et dans quelle circonstance fait-on confiance ?

En accordant notre confiance à quelqu’un nous remettons notre sort dans ses mains pour sa capacité à décider au mieux de nos intérêts bien compris (c’est à  dire « pris en compte ») dans les domaines dont la maitrise nous échappe.

C’est bien là la motivation de la confiance. L’on fait confiance dès lors qu l’on peut déléguer à autrui le pouvoir de décider ou  de nous conseiller pour les situations qui nous échappent.

Nous avons à faire confiance pour faire face aux situations dans lesquelles nous n’avons pas le pouvoir (par absence de compétences, de ressources ou d’autorisation) de décider et d’agir. Par cette confiance nous abandonnons et déléguons notre jugement et/ou le pouvoir d’agir à l’autre.

L’image du trapéziste qui illustre la chronique de François Dupuy nous en offre une définition instantanée. Ce trapéziste, en plein vol, est en suspension entre son trapèze qu’il vient de lâcher et la promesse de la réception des mains tendues par son partenaire. Il est a perdu à cet instant tout pouvoir et se trouve dans la totale dépendance de la bonne réception par son partenaire.

J’ai confiance dans l‘autre quand je sais qu’il saura me préserver d’une menace (en en étant conscient avant moi) et en ayant les moyens (que je n’ai pas) d’agir pour l’éviter ou en réparer les dégâts.

La confiance est en quelque sorte une dépossession de sa décision. C’est ce qu’on exprime par exemple en disant : « Je fais confiance à mon instinct ». Je ne me fais pas confiance mais j’accorde ma confiance à mon instinct qui saura bien me dicter ma conduite.

6. L’on « fait » confiance  comme l’on « fait » société.

Il est frappant et, oh combien, significatif de constater qu’en cherchant une autre locution dans laquelle le verbe « faire » est utilisé comme dans l’expression «  faire confiance » le seul qui vient à l’esprit est « faire société ».

Toute l’essence de la confiance s’y trouve. Si nous faisons société c’est, entre autres, par notre incapacité à nous assumer et à satisfaire nos besoins en toute autonomie. Dans toutes ces situations d’incomplétude nous nous trouvons dans celle du trapéziste en plein vol.

Ce dépôt de confiance en l’autre est un besoin bien normal, dicté par les incomplétudes de chacun de nous.

7. Désormais libérés de l’arbitraire du décideur préservons nous d’un autre arbitraire.

Dans une telle situation d’impuissance et d’ignorance,  il nous faut être confiants dans le fait que l’autre, pour être digne de notre confiance, nous a compris et qu’il nous prendra en compte dans les décisions qui seront à prendre dans le futur.

Est-ce à dire que le manager enfin libéré de son propre arbitraire se trouverait soumis à l’arbitraire des intérêts particuliers de ses équipes qu’il aura à cœur de prendre en compte ? Et finalement, n’est-ce pas là la crainte des managers lorsqu’ils se posent la question du comment obtenir la confiance de leurs équipes ?

Rappelons cette gamine, dans le film « Le Maître d’école » que Coluche, son instituteur, interroge : « Pour toi, c’est quoi un égoïste ? » et qui répond « C’est quelqu’un qui ne pense pas à moi ! »

Ainsi, assurons nous de ne pas juger les décisions et actions de la personne à qui nous avons accordé notre confiance à l’aune de nos seuls et propres intérêts dans un égocentrisme arcbouté sur la défense de nos intérêts particuliers.

Ce besoin de reconnaissance et de prise en compte est naturel. Il est fondé à dénoncer l’arbitraire du pouvoir de celui ou de celle à laquelle nous sommes assujettis. Attention toutefois à ne pas prêter le flanc à la même critique en faisant de nos attentes un arbitraire auquel l’on souhaiterait assujettir l’autre à notre tour.

8. La bienveillance comme échafaudage de la confiance

Veillons à nous préserver du verbiage sur cette notion de « bienveillance », Soulignons, en précisant notre acceptation de cette notion de « bienveillance », en quoi elle est indispensable à établir la balance entre les deux parties prenantes d’une relation de véritable confiance.

Le souci d’équilibrer la relation entre le « confiant » (mandant de la confiance) et le « confié » (dépositaire de la confiance) conduit tout naturellement à rapprocher les deux notions de confiance et de bienveillance. La bienveillance, entre autres, du manager devient la condition de la confiance que peut lui accorder son équipe. Elle en est l’échafaudage et comme tel lui permet de s’établir.

Il convient, en définissant précisément la notion de bienveillance, de palier le risque de dérive d‘un arbitraire (celui, par exemple, du manager au pouvoir arbitraire) dans un autre arbitraire. Celui de l’équipier (mandant de la confiance et n’attendant que la satisfaction de ses seuls besoins) et exigeant la bienveillante bienveillance du manager à son égard.

Cette nécessaire bienveillance du dépositaire de la confiance n’a rien de moral ni de moralisateur.  Il y va d’une simple question de pur pragmatisme et de bon sens.

La bienveillance se doit d’être (tel qu’il est développé dans cet article),  l’art de bien veiller et de bien voir en portant attention à l’autre et de bien lui donner à voir la réalité pour aider à la clairvoyance de l’autre.

C’est là le rôle du veilleur et de la vigie. Cette vigie dont le rôle n’est pas de se substituer à l’action de l’équipage mais qui veille et met en garde, en le prévenant des risques qui le guette. C’est là surtout le rôle de l’éclaireur qui non seulement veille aux risques mais également propose les différents chemins possibles pour progresser.

9. Le partenariat au cœur de la confiance.

L’illustration du trapéziste souligne une notion fondamentale qui est au cœur de la relation de confiance. La confiance ne peut s’envisager qu’au sein d’une société dans laquelle je suis intégré,  reconnu et pris en compte. Autant d’attributs qui font de l’individu un partenaire au sein d’un collectif. Cela est vrai dans toutes les situations de la société comme en entreprise.

Je ne peux accorder ma confiance que si l’autre me prend en compte et se soucie de moi en tant que partenaire. Je n’accorderai ma confiance que si je sais, en  le vérifiant dans la réalité des faits, que sa décision ne sera pas dictée prioritairement et uniquement par son intérêt mais par l’intérêt de notre partenariat et de l’œuvre collective à laquelle nous participons.

10. La confiance : le ciment de la relation entre les parties prenantes de l’action collective. Un ciment qu’il ne faut pas « gâcher ».

La confiance est indispensable à toute action collective.

Celui qui ne ferait confiance qu’à lui-même serait incapable de mener la moindre action allant au- delà de ses propres forces ou ressources.

La confiance démarre tout simplement par la reconnaissance de nos propres limitations. Identifions et reconnaissons l’écosystème dans lequel nous nous insérons et soyons attentifs à ses parties prenantes.En y prenant part, elles sont les partenaires de la réussite de notre projet et de notre entreprise. Aussi, cette reconnaissance, qui est loin de nous être naturelle, est-elle essentielle. Elle engage à reconnaitre, à prendre en compte et à satisfaire au mieux les besoins et attentes de nos parties prenantes.

La confiance est fondamentalement mue par la demande non toujours formulée d’être pris en compte et tenu pour partenaire de celui (individu ou organisme) à qui l’on donne sa confiance. Cela est vrai de toute relation que ce soit entre le manager et ses équipiers, une entreprise et ses employés, une entreprise et ses clients et fournisseurs, une marque et ses clients …

12. L’écologie de l’écosystème de notre entreprise.

Cette notion de partie prenante, à l’instar de nos deux partenaires trapézistes, mobilise l’ensemble des acteurs de toutes natures (humains, matériels, …) qui « prennent part » à la possibilité et à la réussite de l’action et du projet. Cette action, ce projet sont nécessairement collectifs. Leur survie et leur développement nécessitent la prise en compte de leurs différentes parties prenantes et de leurs attentes.

En prenant en compte la réalité systémique de toute action, il importe de porter l’attention à chacune des parties prenantes de l’écosystème de l’entreprise et de veiller à la satisfaction de leur attente au risque sinon de disparaître. De même que la préservation de l’environnement est la condition de notre survie, la préservation des parties prenantes de l’entreprise en satisfaisant leurs attentes est cruciale. Le dépôt de bilan est proche pour l’entreprise qui, faute de répondre à leurs attentes, perdrait la confiance de ces clients, tout comme de celle de ces fournisseurs, ou des candidats à l’emploi.

Il est, ici, question de la nécessaire écologie de l’écosystème de l’entreprise. Il appartient à chacun de ses managers de veiller à la préservation et au développement de cet écosystème (dont, entre autres, les équipes font partie) comme le rappelle cet article : « L’écologie de votre écosystème d’entreprise »

Prendre en compte l’autre n’est pas, pour un manager ni pour quiconque, s’exposer à devoir accepter toutes les exigences de l’autre. Cela revient tout simplement à prendre en compte l’autre et à le reconnaître et le considérer comme partie prenante de son action.

13. En conclusion, soyons, sans crainte, des managers de confiance en toutes circonstances.

La question de la confiance posée au niveau du management n’est pas spécifique à ce domaine. En permettant de « faire société », elle est au cœur de toutes les relations sociales. Toute société se défait dès que l’individu ne s’y trouve plus ou pas reconnu et pris en compte.

Reconnaissons que cette question de la confiance est effectivement particulièrement fondamentale en matière de management tant elle est le liant nécessaire aux relations mises en œuvre dans toute action collective.

Elle est le ciment essentiel à toute relation. Elle se gagne et s’accorde à raison de la reconnaissance et de la prise en compte de chacune des parties prenantes.

Nul risque de perte de pouvoir pour qui s’emploie à cette reconnaissance, si ce n’est celle d’un pouvoir arbitraire.

Nul risque non plus, en veillant à bien veiller par une bienveillance bien comprise, de s’exposer à l’arbitraire des attentes du mandant de cette confiance.

Ainsi, que ce soit pour le dépositaire de la confiance comme pour le mandant de cette confiance accordée, cette confiance ne peut exister qu’en renonçant à l’arbitraire d’une décision et d’une action qui ne reposeraient que sur le seul intérêt de l’un ou de l’autre.

Être considéré et pris en compte est une revendication. C’est, en même temps, une responsabilité : celle d’être partenaire  de l’action. Être pris en compte n’est pas faire valoir ses droits, contre tous et en dépit de tous, mais bien être partie prenante d’une action collective.

Cette relation intervient dans une œuvre collective et questionne la notion de pouvoir avec interrogation : « De quel pouvoir parle-t-on ? »  Celui de décider en fonction de son seul intérêt ? Ou le pouvoir collectivement accordé et reconnu comme porteur de la viabilité, de la survie et du développement d’un projet collectif (social ou entrepreneurial) ?

Le manager, comme toute personne digne de confiance, se doit d’être le porteur de cette viabilité et de ce développement dans le cadre des orientations définies pour l’organisation.

Vous appréciez. Merci de partager.

 

RéSolutions
Résumé de la politique de confidentialité

Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.