Je contribue donc j’existe.

Je contribue donc j'existe.

Il est frappant de constater l’émergence actuelle de deux notions concomitantes : la demande de sens et la prévalence de la recherche d’impact.

Au moment même où l’absence et la perte de sens sont ressenties et dénoncées par beaucoup, la notion d’impact prend les devants de la scène. L’impact négatif et destructeur de l’homme et de ses entreprises sur l’environnement et sur la société est décrié. L’homme comme ses entreprises sont aujourd’hui sommés d’avoir un impact positif. L’anthropocène met l’homme sur le devant de la scène et lui donne un rôle de deus ex machina (1) en charge d’impacter le monde positivement.

(1) Personnage ou événement inattendu venant opportunément dénouer une situation dramatique.) (Deus ex-machina :CNTRL)

Cette invocation ne laisse pas d’interroger sur sa signification profonde et quasi … phallique. Elle n’est pas sans évoquer son Docteur Fol Amour chevauchant sa bombe et qui jubile en attendant l’impact.

« Impact » inéluctablement dit « choc »  : « Attention, impact dans …15 secondes ». Même adorné de son qualificatif « positif » et si les mots ont un sens, « Impact » signifie la collision, le heurt entre deux corps. Dès lors, il est difficile d’envisager qu’un impact puisse être positif. L’impact évoque la puissance et privilégie la puissance de l’impactant sur l’impacté au profit de l’impactant.

L’appel à « l’impact positif » est une injonction à « une puissance qui s’exerce sur … ».

L’incantation actuelle en faveur de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) de l’entreprise  invite chacun de nous et de nos entreprises à avoir un impact positif. Cette invocation vaut pour toute notion d’entreprise et donc pour toute action (qu’elle soit celle d’une entreprise ou d’un individu).

L’impact est le maitre mot de l’anthropocène où l’Homme exerce un impact (et quel impact !) sur le Monde. Chercher à avoir un impact sur c’est rechercher à maîtriser l’objet impacté (objet ou homme alors ramené au rang d’objet) pour lui donner sa forme … en le « cabossant. »

Une telle incantation est, d’ailleurs, à bien y regarder, plus une exhortation à ne pas avoir un impact négatif qu’une invitation précise à un impact positif déterminé.

Et si, au lieu d’exhorter à « impacter sur … » l’on appelait et invitait plutôt à « contribuer à … » ?

Plutôt que d’inciter chacun de nous à laisser des « traces d’impacts » sur le Monde et la Société ne vaut-il pas mieux se focaliser sur les contributions que chacun de nous et les entreprises qu’il mène ou pilote sont à même d’apporter à la Société et au Monde ? Ne vaut-il pas mieux, en laissant à chacun le choix des projets auxquels il entend contribuer, valoriser et encourager ces contributions ?

En priorisant cette notion de contribution et en conduisant chacun, au moment de décider de son action, à se questionner : « A quoi ? et en quoi ? est-ce que je contribue par cette action, par mon entreprise ? » les réponses apportées par chacun donnent le sens de son action.

Pourquoi parler d’impact « positif »?

Dire que son action a un impact positif ne donne pas l’intention de départ de cette action. L’impact vient constater «  après coup » (une fois le coup porté) un heurt et la trace du coup. L’impact ne dit pas l’intention de départ qui a motivé l’action dont l’impact est la conséquence. La contribution, elle, à la différence de l’impact, donne l’intention et guide l’action dans l’atteinte du résultat de la contribution.

Parler de « Contribution » assigne un sens à l’action décidée et convoque « l’autre ».

Parler de « contribution » redonne à l’homme agissant, l’acteur, toute sa dimension non d’ « impacteur » (même positif) mais de créateur de valeur par une participation à une œuvre commune et choisie visant la satisfaction réelle de besoins humains.

En effet, « Contribuer » convoque immédiatement l’autre, les autres, tous les autres acteurs parties prenantes de l’écosystème du contributeur et de son entreprise. Les autres sont convoqués à double titre. Ils sont, d’une part, les autres contributeurs à l’œuvre et au projet commun, et d’autre part et encore plus fondamentalement,  les « bénéficiaires » de la valeur créée par le projet en réponse à leurs besoins, sachant que cette satisfaction des besoins est la seule réelle justification possible de toute entreprise.

La définition autoporteuse de la contribution. « Je contribue » : « j’apporte ma part à une œuvre commune ».

Il est frappant de constater que, contrairement au terme « Impact » (qui a, en soi, une connotation négative), le terme de « contribution » a, en soi, une connotation positive. J’apporte ma part, j’apporte mon tribu.

Le terme renvoie à deux dimensions qui, toutes deux, sont intéressantes à prendre en compte :
1. La participation (« J’apporte ma part ») à une œuvre commune,
2. La participation aux charges de la communauté (« J’apporte mon tribut »), en conséquence et en reconnaissance de mon appartenance à cette communauté.

Chacune de ces deux dimensions converge pour  donner toute sa force à cette notion de « contribution » et pour la prioriser, entre toute autre notion, comme légitimation de toute action.

La contribution, un concept qui donne tout son sens à l’action.

La contribution justifie et donne puissamment sens à mes actions dans la double dimension de sa définition, à la fois :
1. par la valeur que mon action va apporter à l’œuvre commune (tant dans la réussite du projet que dans la satisfaction des besoins de ses bénéficiaires) et
2. par la part que je prends grâce à ces actions aux charges nécessaires à la préservation et au développement de la communauté à laquelle j’appartiens et grâce à laquelle je vis, survis et me développe.

« A quoi et en quoi est-ce que je contribue ? »

Voilà une double question que chacun de nous devrait opportunément se poser. Et cela que nous soyons simple particulier au moment de décider de nos actions et de les entreprendre ou que nous soyons une entreprise. Répondre à cette question avec réalisme et en toute humilité revient à définir en toute responsabilité sa raison d’être.

Une question existentielle.

Cette question est une question existentielle. Quel est le sens de mes actions et de mes entreprises ? En quoi, suis-je, par ces actions, et en toute humilité, relié et lié au reste de l’humanité ? Ce qui revient, là encore, en toute humilité, à se poser la question de savoir en quoi est-ce que  je contribue à l’humanisation du monde ? En un mot, en quoi suis-je acteur et entrepreneur, créateur de valeur et non seulement consommateur – profiteur et destructeur de valeur ?

« Contribuer » et « Exister » deux notions qui s’enfantent l’une l’autre.

Là encore, les mots ont un sens et celui d’« Exister » (2) et lourd de sens.

(2) Exister : « Avoir une cause : le mot exister signifie par lui-même qu’une chose a une consistance à partir de, c’est-à-dire à partir d’autre chose. Il s’agira de savoir à partir de quoi ce qui existe a son existence. » (Exister : CNTRL)

Ainsi, « Exister »  n’a de sens que par la cause qui me fait exister.

J’existe « pour » et « par » quelle cause ?  

Pour prendre les mots à la lettre (ce que l’on devrait toujours faire) , quelle est la cause qui est la mienne et qui me fait exister ? Quelle est la cause que je sers ? Quelle est la cause à laquelle je contribue ?

Par un retournement des liens de causalité, il n’est pas indifférent de voir dans la cause non seulement la cause qui fait que j’existe en tant que conséquence et résultat mais la cause comme la visée, et la motivation de mon action. La cause qui me fait exister devient alors la conséquence de mon action à laquelle elle contribue. Ainsi, j’existe que par ce que mon action contribue à une cause.

Plutôt que d’exister « parce que … », j’existe « pour que … ».

C’est ma contribution à cette cause, à ce projet qui fait que  j’existe. J’y trouve tout mon sens.

La question est bien celle-ci « Qu’est ce qui fait que j’existe ? Quelle est  la cause de mon existence ? J’existe pour quelle cause ? Quelle est la cause qui fait que j’existe ?

Je ne peux être qu’en agissant …

« L’homme n’est rien d’autre que son projet, il n’existe que dans la mesure où il se réalise, il n’est donc rien d’autre que l’ensemble de ses actes, rien d’autre que sa vie. Sartre, Existent.,1946, p. 55. » CNTRL

… et je ne peux être qu’en agissant positivement, qu’en étant contributeur.

Une action justifiant mon existence ne peut qu’être une action positive de contribution au bien commun.

Au fond du fond on y retrouve la règle «  Ne faisons pas à autrui ce que nous ne voudrions pas qu’il nous fasse ».

Nulle dimension morale à la définition de ce bien commun. Il n’est besoin que de considérer bien humblement notre dépendance à notre écosystème pour nous en convaincre. Celui-ci est fait de l’ensemble de notre environnement et des parties prenantes à notre propre existence qui la permettent et la nourrissent. Il est de notre intérêt vital évident de contribuer à la survie et au développement de notre propre écosystème comme condition de notre propre survie et développement. Prenons soin de notre environnement propre et il prendra soin de nous.

Derrière cette règle de bon sens, l’on retrouve tout le combat écologique qui ne se limite pas à sa seule dimension naturelle et environnemental comme je l’évoquais dans cet article « L’écologie de votre écosystème d’entreprise ».

Soyons « donneur réaliste et stratégique ».

Cette notion est développée par Adam Grant dans son livre « Give and take : why helping others drives our success ». Il y analyse le principe de réciprocité dans lequel deux postures se font face « Je donne » «  Je reçois ». Il inventorie les 3 styles qu’il est possible d’adopter en la matière :

1. le Preneur (Je reçois plus que je donne) ;

2. L’Egalisateur (Je donne autant que je reçois) ;

3. le Donneur (Je donne plus que je reçois).

Il compare ces différents styles possibles et pose la question de savoir quel est le style le plus efficace. A première vue, et en tenant compte de l’assentiment de la Société, le style « Egalisateur » semble gagner la première place sur le podium au détriment du « Donneur » qui se fait avoir et du « Preneur » qui ne peut durer qu’un temps.

Il conclue son analyse par une question à laquelle il apporte sa préférence : « Et si, à bien y regarder, le style le plus efficace était celui du donneur non le donneur exploité mais le « donneur réaliste et stratégique » qui agit pour le bien commun et sans dire oui à tout. »

La règle très utilitariste de ne pas faire à autrui ce que l’on ne voudrait pas qu’il nous fasse se transforme alors en la règle d’or : « Faites pour les autres tout ce que vous voudriez qu’ils fassent pour vous ». Une règle d’or qui est la version positive et en acte de la règle précédente «  Ne fais pas autrui …. » qui négative, interdit, restreint et paralyse et qui incite, de fait, à l’inaction en condamnant l’action par un principe de précaution.

La contribution est hautement mobilisatrice et énergisante en donnant une motivation, un sens à l’action.

Ce qui donne sens à mon action et me permet d’exister, est de prendre part, d’apporter ma part tant à l’œuvre commune choisie qu’aux charges de la communauté qui l’héberge.

L’oxymore d’une « contribution négative »

Nulle surprise au fait que le terme « Contribution » ait une connotation éminemment positive. Une « Contribution négative » serait un oxymore.

En effet, une  » Contribution négative » peut s’envisager de deux façons :

1. Soit je contribue négativement à une action commune (et donc je vise volontairement ou non à ce que ce projet commun échoue),
2. Soit je contribue à une action qui est négative non pour les contributeurs à l’action mais pour ses cibles. C’est, en effet, alors, bien de « cibles » dont il s’agit, au sens de « objet à impacter » et non de bénéficiaires de l’action.

Quelle que soit la façon de l’envisager, une contribution négative détruit de la valeur (soit celle du projet auquel je participe, soit celle de la situation des individus cibles de l’action).

Dans les deux cas, par cette action, je détériore mon écosystème qui finira par me détruire lui-même.

La contribution est créatrice de valeur pour l’œuvre commune, pour ses bénéficiaires et pour chacun de ses contributeurs.

Au delà de la valeur créée pour ses bénéficiaires (qui est sa justification ultime), contribuer porte, en lui-même, le principe et la promesse d’un retour positif pour le contributeur. Ce retour n’est possible que du fait de la création de valeur par l’œuvre commune. Une œuvre collective qui est grosse d’une valeur supérieure à la somme des contributions mises en œuvre individuellement pour la produire. C’est là la force de l’intelligence collective. Une promesse de « sur » valeur qui, toutefois, ne se réalisera que sous réserve que ce projet commun et collectif réponde à un certain nombre de caractéristiques.

Les conditions d’une contribution réelle. 

En effet, la contribution d’un individu à une œuvre commune ne l’est qu’au prix du respect d’un certain nombre de conditions.

Pour trouver tout son sens, et pour que cette contribution soit une contribution véritable il y faut :

1. Un volontariat plein et entier basé sur une volonté délibérée du contributeur (quelle que soit sa motivation) ;
2. L’adhésion réelle à l’œuvre commune résultant d’un libre et réel choix par le contributeur ;
3. La reconnaissance par la communauté de la part prise par le contributeur ;
4. La rémunération positive du contributeur (à proportion de la contribution à la « sur »valeur créée par la contribution.

A défaut de l’une ou l’autre de ces conditions la contribution n’a plus de sens. Elle se trouve, alors, dévoyée de multiples façons.

Elle n’est alors  :

– qu’une adhésion forcée (de manière consciente ou inconsciente) à un projet qui n’est pas le sien ;

– qu’une inefficacité du fait d’une contribution non ré-compensée (au sens premier du terme) par un retour supérieur à la contribution ;

– voire qu’une exploitation du contributeur en absence d’une participation adaptée à la « sur » valeur créée par l’œuvre commune.

Le projet lui-même, objet de la contribution, se doit de respecter un certains nombres de caractéristiques.

Un tel projet, une telle entreprise se doivent d’être positifs, c’est à dire et sans jugement moral, eux-mêmes contributeurs à la Société dans laquelle ce projet vit, survit et se développe.

C’est d’ailleurs là la condition de sa survie. En supposant qu’il détruise de la valeur dans son environnement, il est clair qu’il détruira son environnement et en périra lui-même.

Ce n’est qu’en créant de la valeur pour chacune de ses parties prenantes essentielles, qu’il garantira son développement durable.

Qui ne le ferait pas serait un prédateur. Et l’on ne contribue pas à une prédation, on en est complice.

De l’anthropocène à l’humanocène :
du  » J’impacte » au « Je contribue ».

L’anthropocène est le règne du « j’impacte ». Il est l’âge de l’Homme et de ses impacts sur l’environnement et sur la société. Par opposition et en ayant à l’esprit la nature profonde de la contribution, l’humanocène (terme que je forge en opposition directe à l’anthropocène), est celui du « Je contribue ».  Il est l’âge de l’humain en acte et de la contribution de l’homme à l’humanisation du Monde.

Si l’humanisme est une croyance en l’homme et en sa valeur (3), l’humanocène est le temps de la contribution à la mise en œuvre et la défense de cette valeur, par nos contributions au-delà des simples croyances. Contribuer en est le maitre mot et le verbe d’action. Il n’est plus, alors, temps ni question d’impacter mais de contribuer en toute humilité et en toute humanité à l’humanisation du Monde.

(3) Humanisme : Théorie, doctrine qui place la personne humaine et son épanouissement au-dessus de toutes les autres valeurs. Le Robert

Un questionnement salutaire et une règle de vie porteuse de sens.

En synthèse, substituons à l’exhortation d’ « impacter », la règle de vie qui est celle de répondre clairement à la double question «  A quoi et en quoi je contribue ? »

Y répondre peut- être l’affaire de toute une vie. Se poser, en permanence cette question est, à défaut d’avoir une réponse claire et définitive, un salutaire moyen de questionner le sens de son action et d’y trouver un sens.

Nous verrons que cette priorisation de la contribution n’est pas sans impact sur un certain nombre de composante de notre édifice social. Elle questionne, entre autres, la responsabilité individuelle de chacun d’entre nous au sein de la Société. Elle questionne la notion même d’entreprise et de participation, les modes de management et d’organisation de l’action, voire même, et de manière  directe, l’évolution de nos systèmes d’enseignement et particulièrement de la formation professionnelle.

 

 

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