Toute culture est l’expression des valeurs que cette culture et les membres de sa communauté ont choisi de faire leurs. L’entreprise comme toute communauté développe sa propre culture. Jusqu’où celle-ci peut-elle aller ?
Une culture renvoie à une communauté, la communauté qui partage la dite culture. Quelle qu’elle soit, cette culture est le choix de valeurs qui fondent la pensée, les décisions et les comportements retenus par elle comme moyen tant de sa sa finalité que de sa survie. Cette culture pose les règles de son fonctionnement, son » règlement intérieur » que chacun des membres de la communauté est tenu de respecter au risque sinon d’en être exclu ou de s’exclure lui-même.
Cela vaut pour toute organisation, qui chacune a ses propres modes et règles de fonctionnement. Celles-ci, qu’elles soient implicites ou explicites, façonnent les façons de décider et de travailler de l’organisation.
1. La culture socle du fonctionnement de l’entreprise.
Conscientes de cette importance, certaines organisations, dont certaines entreprises font de cette culture le socle explicite et la « planche d’appel » de leur fonctionnement.
Nous ne nous mentionnerons uniquement pour le regretter, le cas de celles qui n’évoquent cette culture que dans un seul but commercial de communication sans l’incarner au quotidien dans leur relation avec chacune de leurs parties prenantes. Nous nous intéressons à celles qui en explicitent les valeurs et s’efforcent de les appliquer effectivement dans leur fonctionnement quotidien.
2. Le spectre de l’explicitation de la culture et des valeurs.
L’explicitation et la force « contraignante » de la culture s’étendent sur un spectre large.
Elles peuvent aller de l’absence de toute culture commune à une culture très forte et aux valeurs impératives.
Les entreprises se trouvent confrontées au dilemme de choisir entre une culture d’entreprise forte qui peut conduire à refermer l’entreprise à toutes personnes ne partageant pas sa culture voire à les exclure et une culture plus ouverte à la diversité et riche de la coexistence en son sein de visions du monde multiples.
3. Un dilemme qui questionne.
Ce dilemme nous amène la cette double question :
- Peut-on identifier la nature et les limites des valeurs acceptables dans le cadre d’une organisation ?
- Quid des personnes qui n’accepteraient pas de partager ces valeurs ?
Sachant que les réponses apportées à la première question nous paraissent devoir permettent de répondre au comment de la seconde question.
4. Quelle nature et quelles limites à la culture et aux valeurs d’une entreprise ?
Certains, de plus en plus nombreux, veulent voir en l’entreprise un prolongement de la Société au sens large. Nous pouvons questionner cette affirmation.
Certes, les façons d’être et d’interagir en entreprise et en Société ne sont pas sans lien et plus ces relations seront sociales en entreprise plus elles le seront également hors des murs de l’entreprise. De même plus les exigences sociales des relations admises par la Société seront fortes plus elles s’imposeront au sein de l’entreprise.
Rappelons toutefois la spécificité de l’entreprise et de sa raison d’être, avant même de parler de sa raison sociale. Entreprise et Société (au sens large) relèvent de deux champs différents. Et le fait que l’entreprise puisse prendre un statut de société peut créer de la confusion et donner l’illusion que nous parlons bien de la même chose.
L’entreprise est dans la Société mais n’est pas la Société.
Toute entreprise comme chacun de ses membres est tenue au respect des valeurs de la Société dans laquelle elle intervient et dont elle est un des acteurs. Ces valeurs ne sont pas au choix de l’entreprise et ses dirigeants. Elles sont des valeurs fondamentales de la Société au sens large. Elles fondent la Société.
Par contre, si elles doivent être respectées, ces valeurs qui s’imposent ne fondent pas l’entreprise. Elles ne sont pas au fondement du projet entrepreneurial. L’affirmer n’est pas faire preuve de manichéisme mais bien reconnaître la différence de nature et de finalité de la Société et de l’Entreprise. Ce n’est pas au patron de l’entreprise de définir les règles socialement valorisées. Inversement, ce n’est pas la Société qui détermine les leviers spécifiques de la performance de l’entreprise même si elle les encadre socialement.
La culture d’une entreprise doit se définir en fonction du projet de l’entreprise. Elle s’apprécie en fonction de sa contribution à la survie et à la prospérité de l’entreprise et de son projet. Toute invocation d’autres valeurs ne répondrait qu’à l’arbitraire des choix moraux de qui les poserait au sein de l’entreprise.
5. Et l’évaluation des collaborateurs dans tout cela ?
Cela pose la question du fondement de toute évaluation au sein de l’entreprise.
Le terme même d' »évaluation » pose la question des valeurs qui permettent d’évaluer.
Un jour où j’effectuais un Entretien Annuel d’Activité (EAA) d’un collaborateur, je me suis arrêté au beau milieu d’une remarque que j’étais en train de lui faire. Je me suis subitement demandé ce qui me permettait de lui dire ce que précisément j’étais en train de lui dire. N’étais-je pas en train d’ »évaluer » ce collaborateur en fonction de mon propre système de valeurs, et de quel droit ?
Un EAA n’a de sens que s’il aide le collaborateur à identifier l’importance du respect ou du non-respect des valeurs et des modes de fonctionnement posés par l’entreprise car nécessaires à son projet et à sa raison d’être et à l’aider à respecter ces valeurs et modes de fonctionnement pour contribuer au mieux au projet .
Ces valeurs et ses modes de fonctionnement n’ont de sens que s’ils sont explicités, connus et acceptés de tous comme nécessaires. Le management par essence a alors pour mission et pour finalité d’aider chacun des collaborateurs à mieux en tirer parti pour le bien du projet de l’entreprise et de lui-même.
Le problème dans le cas que j’évoque est que j’ai alors dû constater, pour le regretter aussitôt, que ces règles et valeurs pas plus que la politique de l’entreprise n’étaient clairement posées et de ce fait ne pouvaient servir de repères opérationnels.
Aussi, bien que respectant les valeurs de la Société, les valeurs d’une entreprise procèdent-elles d’un choix fait par l’entreprise parmi ces valeurs comme vecteur de la réussite de son projet. Cela ne revient pas à dire que, au sein de l’entreprise, seules ces valeurs sont à respecter, mais que l’entreprise est fondée à travailler particulièrement ces valeurs comme levier de réalisation de son projet.
Ces valeurs doivent alors trouver leur traduction dans chacun des processus de l’entreprise et être portées par le management. Elles doivent être clairement reconnues quand elles sont respectées et sanctionnées quand elles ne le sont pas.
5. La démocratie en entreprise ?
L’entreprise est politique mais son champ est-il pour autant celui de la politique ?
L’entreprise a pour finalité de répondre efficacement par une production d’un service ou d’un bien à un besoin qui se traduit par une demande solvable.
Elle appartient à ses actionnaires, quelle que soit la nature et les modalités de cet actionnariat. Il appartient à ces actionnaires de poser le projet de l’entreprise et d’en définir la stratégie pour faire aboutir et vivre ce projet. Ce projet et cette stratégie doivent trouver place dans le respect des valeurs définies par la Société elles-mêmes incarnées par les lois et règlement qui s’imposent.
Certaines valeurs comme certains modes organisationnels et de fonctionnement conviennent plus particulièrement à l’atteinte de ce projet. Il est de la liberté et de la responsabilité de ses actionnaires de les identifier, de les retenir et de les mettre en œuvre en cohérence avec la finalité de l’entreprise et son projet.
Ici apparaît la nécessité de distinguer le champ du politique qui est celui de la Société et le champ de l’offre en satisfaction d’un besoin qui est celui de l’Entreprise.
Confondre les deux, comme trop souvent cela est fait et parfois avec les meilleures intentions, conduit certains à poser la démocratie comme modèle insurpassable pour l’entreprise. Or constatons que la démocratie n’est pas un concept d’entreprise. De même que la satisfaction d’un besoin n’est pas un concept de Société. La forme démocratique peut-être un moyen adapté dans certaine situation à l’efficacité d’un projet d’entreprise, alors que dans d’autres circonstances et pour d’autres projets, un « despotisme éclairé » sera adapté et cela pour le plus grand profit de l’ensemble des parties prenantes.
Raisonner autrement reviendrait à faire de l’entreprise un acteur politique et comme tel porteur d’un projet politique, en charge de développer une politique, c’est à dire une vision du monde. Ce n’est pas là la raison d’être de l’entreprise. Une entreprise peut avoir un tel projet, mais ce n’est pas ce projet qui en fait une entreprise.
A négliger cette distinction nous nous mettons en grand danger de manipulation des équipes comme en témoignent les dérives que connaissent certaines entreprises portées par la foi visionnaire et possiblement impérialiste de leurs dirigeants créateurs.
S’il est normal de devoir respecter les valeurs et règles de l’entreprise, il n’est pas nécessaire pour chacun de ses collaborateurs de les adopter personnellement et d’y adhérer. Le but de ce système de valeurs n’est pas et ne doit pas être de transformer l’homme mais de guider la prestation du collaborateur.
7. Les dangers de dérives d’une entreprise politique.
Les valeurs et règles posées par une entreprise sont indispensables à la réussite de son projet. Elle les choisit comme telles en tant qu’instruments adaptés à un certain moment à son projet. Présentées, discutées et acceptées comme telles elles s’appliquent dans l’entreprise et doivent être respectées pour ce qu’elles sont : un moyen d’atteindre le projet de l’entreprise. Au sein de l’entreprise, elles ne peuvent et ne doivent être que cela. L’adhésion des collaborateurs doit reposer sur cette base opérationnelle. Il n’est pas demandé au collaborateur d’y adhérer personnellement en termes de croyance personnelle et philosophique.
Toute demande d’adhésion personnelle qui serait exigée, organisée et pénalisée dépasse le domaine auquel ces valeurs et ces règles de fonctionnement doivent se limiter, celle de l’efficacité de l’entreprise.
Dépasser les limites de la logique d’entreprise, en exigeant une adhésion personnelle des collaborateurs, transgresse les limites de l’entreprise et débouche dans le domaine politique. Une telle exigence conduit alors presque inexorablement à l’endoctrinement et in fine au rejet organisé des « mécréants », rejet manœuvré par la masse institutionnelle des « croyants » et à la chasse aux sorcières.
Ces valeurs et ces règles demandent à être respectées en tant que façons de faire et non de penser.
Aucune de ces valeurs et règles ne doit remettre en cause la possibilité d’un esprit critique et la préservation d’un for intérieur des collaborateurs. La transparence totale des pensées et des cœurs ne peut être exigée. Alors même, qu’elle est prônée positivement comme devant permettre une communication fluide, une telle exigence doit servir de signal et peut être une alerte annonciatrice de dérive de culture « invasive ».
8. En synthèse et pour répondre à nos deux questions :
Question 1 : Peut-on identifier la nature et les limites des valeurs acceptables dans le cadre d’une organisation ?
Si ‘on ne saurait faire fi, en entreprise, du respect de l’ensemble des valeurs socialement partagées, seules certaines d’entre elles peuvent être mises en valeur par l’entreprise comme support démontré et accepté de l’efficacité de l’entreprise en lien avec son projet et sa raison d’être. Une autre garde fou contre les risques d’une culture trop forte et impérialiste tient dans le fait que l’entreprise ne peut exiger une adhésion à ces valeurs au-delà de leur prise en compte concrète et factuelle dans les processus de l’entreprise.
Seul leur respect peut être légitimement exigé par l’entreprise et non l’adhésion personnelles des collaborateurs à ces valeurs.
Mais cette exigence doit se faire sur la base des valeurs choisies et clairement explicitées ainsi que des comportement et processus qui incarnent explicitement ces valeurs motrices de l’entreprise. Ces processus et comportements sont à être définis et communiqués précisément et leur sens donné par les valeurs en question.
Question 2 : Quid des collaborateurs qui n’accepteraient pas de partager ces valeurs ?
Ainsi envisagées, il n’est plus question de savoir qui adhère à ces valeurs mais qui en respectant les valeurs, les processus et comportements nécessaires qui en découlent contribue au projet et à la raison d’être de l’entreprise. Il est clair du même coup que tout collaborateur qui ne respecte pas ces valeurs, processus et comportements n’est pas à même de contribuer au projet de l’entreprise. De même, il est peu probable qu’un talent qui serait en opposition avec ces valeurs soit attiré par cette entreprise et sa marque employeur qui se doit d’être la promesse faite par l’entreprise à ses collaborateurs, actuels ou futurs.
Je tiens à remercier vivement pour les échanges que nous avons eus :
- Monsieur Thibaud Brière qui a connu intimement une culture d’entreprise, forte (trop forte) en tant que « délégué à la philosophie de l’organisation » de l’entreprise qui l’a employé pendant 7 ans,
- Monsieur Jean-Michel Gode spécialiste, entre autres, des démarches d’holacratie et qui est porteur du concept du « Management essentiel » la bénéfique substance de ces démarches.