L’entrepreneur de Type 1 : « Tout est sous contrôle »

Chez l’entrepreneur de Type 1 « Tout est sous contrôle », l’assurance est une seconde nature. C’est un moteur puissant, celui qui a permis à l’entreprise de naître et de surmonter ses premières épreuves. Son mantra est la maîtrise : des indicateurs précis, une gouvernance solide, des équipes alignées. Le problème n’est pas vu comme une réalité, mais comme une opportunité déguisée, un simple obstacle technique à corriger.

Mais que se passe-t-il lorsque cette certitude, cette volonté inébranlable d’agir, commence à masquer la réalité ?

Des verbatim qui interpellent

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Si ces phrases vous parlent, vous êtes peut-être un entrepreneur de type 1 : celui qui croit tout maîtriser… jusqu’à ce que la réalité le rattrape.

Vous reconnaissez des collaborateurs, des interlocuteurs… vous vous reconnaissez peut-être dans ces phrases !!! Il se peut qu’ils soient, que vous soyez un entrepreneur du Type 1 (en tout ou en partie). Il serait d’ailleurs étonnant qu’à aucun moment et dans aucune circonstance, vous ne soyez, nous ne soyons pas amenés à prononcer ces phrases. Cet article comme les 6 articles à venir nous concernent tous de près ou de loin.

Un dialogue révélateur

(Dialogue imaginé mais non imaginaire car basé sur 40 ans d’accompagnement de dirigeants et d’entrepreneurs)

À travers ce dialogue, découvrez comment une certitude absolue peut devenir un frein à la résilience et à la performance collective

L’Entrepreneur : « Franchement, je ne comprends pas tout ce bruit autour des problèmes. Pour moi, tout est sous contrôle ! Oui, il y a des imprévus, mais ce sont des occasions de montrer son savoir-faire. Les vrais leaders ne se laissent pas submerger. »

Solutions : « C’est une force. Mais quand vous dites « tout est sous contrôle », est-ce une description de la réalité, ou l’expression d’un besoin de la maintenir sous votre contrôle personnel ? »

L’Entrepreneur : « C’est un fait ! Mes équipes savent ce qu’elles ont à faire. Si quelque chose clochait, je le saurais. »

Solutions : « Et s’il arrivait qu’un collaborateur perçoive une difficulté que vous ne voyez pas ? Quand une équipe n’ose plus remonter les alertes, que deviennent les signaux faibles ? »

L’Entrepreneur : « Quand un collaborateur vient me parler d’un problème, je lui dis : « Apportez-moi des solutions. » C’est pour les responsabiliser ! »

Solutions : « Excellente intention. Mais en demandant uniquement la solution, vous coupez court à la description honnête du problème. Le collaborateur, sachant que la difficulté ne sera pas entendue, choisit de se taire. Votre insistance à vouloir des solutions immédiates pourrait-elle créer une culture où les collaborateurs hésitent à exprimer leurs préoccupations ? »

L’Entrepreneur : « Vous voulez dire que mon assurance pourrait étouffer les signaux faibles ? Mais si je commence à douter, tout s’effondre. Mon rôle, c’est d’être fort, non ? »

Solutions : « Donner confiance, oui. Mais la confiance n’est pas l’absence de lucidité. À quoi ressemble une confiance authentique ? Un masque inébranlable, ou la capacité à reconnaître ensemble ce qui menace ? »

L’Entrepreneur : « C’est vrai que mon directeur financier m’a envoyé trois emails ce mois-ci avec des analyses que je n’ai pas lues en détail. Ma DRH a demandé deux fois à me parler. J’ai reporté. Mon directeur commercial voulait me présenter les retours clients, je lui ai dit de faire une synthèse d’une page. »

Solutions : « Et si ces « aléas » dessinaient une tendance que vous refusez de voir — non par faiblesse, mais parce que reconnaître un problème serait un aveu d’échec ? »

Un long silence.

L’Entrepreneur : « Peut-être que j’ai voulu tellement tenir la barre que je n’écoute plus ce que je ne veux pas entendre… J’ai peur, en fait. Peur que si j’admets qu’il y a vraiment un problème, ça veuille dire que j’ai échoué. »

Solutions : « Et si reconnaître un problème n’était pas un échec, mais le premier acte de vrai leadership ? La simple reconnaissance d’une difficulté peut débloquer la créativité de l’équipe et faire émerger des solutions bien plus robustes. »

L’Entrepreneur : « Vous voulez dire que ma force pourrait être de dire « je ne sais pas » ou « j’ai besoin de comprendre » ? »

Solutions : « Que se passerait-il si, dès demain, vous disiez à votre équipe : « J’ai peut-être manqué des signaux importants. Aidez-moi à voir ce que je ne vois pas » ? »

L’Entrepreneur : « Ils seraient probablement soulagés. Surpris. Peut-être qu’ils me respecteraient encore plus. Parce que j’aurais eu le courage d’être vulnérable. Le vrai contrôle, c’est peut-être de savoir écouter avant d’agir. »

Solutions : « Le courage de résoudre un problème ou le courage d’admettre qu’il existe – lequel est le plus difficile ? »

L’Entrepreneur : « Admettre qu’il existe. Sans aucun doute. Peut-être que je confonds « confiance » et « contrôle ». En voulant tout anticiper, je ferme la porte à l’intelligence de mes équipes. »

La maîtrise rassure, mais elle isole. La lucidité partagée, elle, protège.

Ce que révèle cet entrepreneur du Type 1

Cet entrepreneur possède des forces réelles : courage, optimisme, capacité à trancher, orientation solution. Mais ces forces peuvent devenir des angles morts.

L’Angle Mort du Type 1 :

L’entrepreneur confond la volonté de résoudre un problème avec la capacité de l’identifier. Le résultat est l’ignorance des signaux faibles (turnover, insatisfaction client latente) qui, faute d’être reconnus, se transforment inéluctablement en crises. L’équipe, privée de l’écoute du leader, entre en silence stratégique.

Les 5 enseignements clés

  1. La certitude est un leurre Croire détenir toutes les réponses limite la capacité à innover. Les entrepreneurs les plus résilients savent douter pour mieux progresser.
  2. Les signaux faibles sont des alliés Les problèmes non identifiés (turnover latent, insatisfaction client masquée) peuvent devenir des crises. Mettre en place des canaux de feedback anonymes ou des audits externes permet de les détecter.
  3. L’humilité stratégique Reconnaître ne pas tout savoir n’est pas un aveu de faiblesse, mais une preuve de maturité. Collaborer avec des mentors ou des pairs pour challenger ses idées renforce la prise de décision.
  4. L’adaptabilité comme muscle Tester de petites évolutions (ex : un nouveau processus, un produit pilote) permet de s’adapter sans tout bouleverser. L’agilité naît de l’expérimentation, pas de la rigidité.
  5. Le vrai courage consiste à affronter l’inconfort. Le contrôle rassure ; la lucidité transforme.

Des pistes d’évolution

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Ce que nous enseignent la recherche et l’expérience

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🔜 Le prochain article : l’Entrepreneur de Type 2 sera publié le jeudi 11 décembre prochain

Le prochain acte de cette série sera consacré à L’Entrepreneur de Type 2 « Je persiste et signe » Cet entrepreneur qui ne se pose pas la question : « Et si mon expérience passée ne s’appliquait pas à cette situation ? »

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Pourquoi vos plans stratégiques finissent dans un tiroir (la solution en masterclass)

 

Avouez-le : vous aussi, vous avez vécu cet échec

Combien de fois avez-vous assisté à ces longues réunions stratégiques ? Combien d’heures passées à élaborer des plans détaillés ? Et combien de ces plans ont réellement été mis en œuvre ?

Vous êtes nombreux à avoir connu ces études stratégiques coûteuses qui n’aboutissent jamais. Ou pire encore : celles qui aboutissent à un beau document PowerPoint qui se révèle inapplicable dès qu’il affronte la réalité du terrain.

Face à l’incertitude croissante du monde actuel, la question se pose : quelle décision prendre ? Quelle action entreprendre ? Quelle stratégie mettre en œuvre ?

La question qui dérange tous les dirigeants

C’est dans ce contexte que Gilles Ruffieux, CEO de QiBud, m’a posé cette question provocante : « La stratégie en 2025 est-elle toujours pertinente comme discipline et comme pratique en entreprise ? »

Voilà une interrogation quasi existentielle pour un stratège d’entreprise.

J’ai accepté de relever le défi et d’animer, le 25 novembre dernier, une masterclass entièrement consacrée à cette question. Elle s’inscrit dans la série des masterclass que Gilles organise depuis Genève sur les thèmes de l’entrepreneuriat, en lien avec la mission de QiBud : valoriser et outiller l’initiative des acteurs en alignement avec la stratégie de l’entreprise.

Le grand nombre d’inscrits et l’intensité des échanges ont confirmé que cette question touche un point sensible chez les entrepreneurs et dirigeants.

La réponse va vous surprendre (et vous soulager)

Je tiens à rassurer tous les stratèges : oui, j’ai réussi à démontrer que la stratégie reste non seulement pertinente, mais plus indispensable que jamais.

Mais attention : pas la Stratégie avec un grand « S », cette discipline rigide enseignée dans les écoles de commerce des années 80. Celle-là est bel et bien morte.

La Stratégie est morte ! Vive la stratégie !

La discipline stratégique demeure bien vivante, malgré toutes les vagues qui ont tenté de la submerger depuis quarante ans : la finance, le marketing, la data, l’impact, et maintenant l’IA.

Mais à une condition absolue…

Cette survie exige un changement fondamental d’état d’esprit et de pratiques en entreprise. Dans la masterclass, je démontre comment ce changement repose sur quatre piliers essentiels :

  • Un changement visant la contribution, l’initiative et la réactivité de chacun des acteurs
  • La mise en œuvre d’une réelle subsidiarité
  • Une vision clarifiée et une ambition assumée de l’entreprise
  • La régénération continue par la réinvention permanente et organique

Mais comment ces quatre piliers s’articulent-ils concrètement ? Comment les mettre en œuvre dans votre organisation ? C’est précisément ce que je dévoile dans la masterclass.

L’erreur que 90% des entreprises commettent

Beaucoup, face aux déceptions des approches stratégiques antérieures, croient qu’il suffit d’inverser la pyramide traditionnelle et de favoriser la remontée d’information et de décision. C’est une erreur fondamentale.

Le changement requis va bien au-delà d’une simple inversion. Il exige une reconfiguration complète de l’imbrication et de l’ordonnancement des composantes de la démarche stratégique.

Dans la masterclass, je vous montre exactement :

  • Pourquoi l’inversion pyramidale ne fonctionne pas
  • Quelle reconfiguration opérer
  • Comment éviter les pièges classiques de la transformation
  • Les questions à se poser et les étapes concrètes pour réussir cette transition

Ce que vous découvrirez dans le replay

Cette masterclass ne propose pas une énième théorie abstraite. Elle vous donne une grille de lecture opérationnelle pour :

✓ Comprendre pourquoi vos démarches stratégiques actuelles échouent ✓ Identifier les blocages structurels de votre organisation ✓ Découvrir comment naviguer dans l’incertitude avec une stratégie vivante ✓ Mettre en œuvre les mécanismes de subsidiarité réelle ✓ Mobiliser l’intelligence collective sans perdre la cohérence ✓ Transformer votre approche dès demain

Un tel changement ne concerne pas seulement les stratèges, mais l’ensemble de votre organisation, de votre management, de votre fonctionnement quotidien.

Votre entreprise est-elle prête pour son futur voulu ?

Dans un environnement où l’incertitude devient la norme, où les repères traditionnels s’effondrent, la question mérite d’être posée sérieusement.

Les difficultés de l’environnement et du contexte actuels vous confrontent à des choix difficiles. La masterclass vous apporte des réponses concrètes et actionnables.

Nul doute que vous y trouverez des clés pour transformer les défis actuels en opportunités stratégiques.

La stratégie n’est pas morte. Elle attend que vous la réinventiez.

🎯 Accédez maintenant au replay de la masterclass

Ne laissez pas vos concurrents prendre de l’avance sur cette transformation essentielle.

[ACCÉDEZ ICI AU REPLAY DE LA MASTERCLASS]

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Manquer de souffle, manquer de sens

Un titre qui interroge et inspire

Un article de Jérôme Lecoq attire mon attention, autant par la richesse de son propos que par son titre : « Quand la pratique manque de souffle ». À sa lecture, et au vu de la situation étudiée dans l’article, je me demande si le titre « Quand la pratique s’essouffle » ne conviendrait pas mieux ici. Car entre « manquer de souffle » et « s’essouffler », il y a une nuance essentielle qui éclaire bien des situations.

Quand la pratique s’essouffle

Il arrive que nous reconnaissions un problème — un essoufflement, une fatigue, une perte de repères. Ce problème, souvent, n’est que le symptôme d’un déséquilibre plus profond. Comme le coureur qui s’arrête au bord de la piste, nous cherchons alors de l’aide : coach, philosophe, psychologue, consultant… Ces arrêts sont salutaires : ils permettent de reprendre souffle.

Quand le souffle manque vraiment

Mais il existe un autre cas, plus inquiétant : celui du manque de souffle, au sens d’absence ou de perte d’âme ou de projet. Ce manque ne fait pas mal tout de suite, il s’installe. Le projet tourne à vide, la répétition remplace la vision, et la personne comme l’organisation s’enlisent dans un décalage croissant avec le réel. Là, le risque n’est plus de s’arrêter, mais bien la « sortie de route ».

Le questionnement lucide, une pratique vitale

Se questionner sur la pertinence de sa perception et de ses décisions est un exercice vital. Inutile de l’habiller de grands mots : philosophie, psychologie, sociologie… Il s’agit simplement d’une vigilance active. Posons nous cette question simple et apportons y une réponse qui nous engage :

« La façon dont je perçois ma situation — et les décisions que j’en déduis — est-elle pertinente pour le futur que je veux construire ? »

Et là se trouve souvent le cœur du sujet : quel est ce futur voulu ? Pas rêvé, pas fantasmé, mais voulu, choisi, assumé.

Humanisme pragmatique : le souffle de l’entrepreneur

Ce questionnement n’est pas une posture intellectuelle, c’est le cœur même de l’acte d’entreprendre. Certains y voient de la philosophie, moi j’y vois un humanisme pragmatique : agir en conscience, dans le réel, pour faire advenir ce que l’on veut vraiment et que l’on fait tout pour y contribuer.

Retrouvons le souffle du sens

Merci à Jérôme Lecoq d’avoir suscité cette réflexion. Et si nous prenions, chacun, quelques instants pour interroger notre propre souffle — celui de nos pratiques, de nos projets, de nos organisations sana attendre qu’ils nous forcent à nous arrêter, faute de souffle ? Le retrouver, c’est déjà reprendre la route avec justesse et intention.

 

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Vers une économie de l’alliance. Philippe Lukacs.

Quelle belle initiative d’avoir invité Philippe Lukacs en première partie de l’Assemblée Générale des Dirigeants Responsables Océan La Vendée, dans les magnifiques locaux de l’École du Design Nantes Atlantique.

Une invitation parfaitement alignée avec cet engagement de responsabilité, qui fait directement écho aux propos de Philippe Lukacs : « Il est de notre responsabilité individuelle et collective de travailler à l’enrichissement de chacune de nos relations… En la prenant nous ne changerons pas, seuls, le monde. Mais nous aurons, à notre mesure, contribué à avancer vers un futur souhaitable et, de toute façon, nous aurons donné plus de sens et de poids d’humanité à notre vie. »

De l’échange à l’alliance : un pragmatisme inspirant

Cette phrase illustre parfaitement le pragmatisme de sa démarche et son appel à passer de l’échange à l’alliance.

Nul besoin d’un grand soir révolutionnaire. Philippe Lukacs nous invite simplement à faire de chaque échange l’occasion d’apporter un plus à la relation et de contribuer ainsi à l’émergence d’une nouvelle « Oikonomia » au-delà de la simple dimension économique pilotant notre civilisation.

Trois piliers pour transformer nos relations

Son approche repose sur trois fondements :

1.      Reconnaître l’équivalence de valeur entre soi et l’autre.

2.      Maintenir et valoriser les différences comme sources d’innovation et d’humanisation.

3.      Et, finalement, chercher à créer ensemble un « commun » partagé, qui dépasse la simple réciprocité de l’échange.

Échapper à la « civilisation du cimetière »

Cette démarche nous offre une voie pour échapper à cette « civilisation du cimetière » évoquée par l’ethnologue Robert Jaulin. Les deals Trumpiens sont la pointe extrême de la logique transactionnelle qui domine actuellement. Le chaos civilisationnel que celui-ci provoque déjà, le désastre annoncé, est la démonstration, si nécessaire, de l’urgence, pour chacun de nous, d’agir avec encore plus de clairvoyance et d’énergie pour, a contrario, favoriser cette logique d’alliance.

Un appel à la responsabilité

Grand merci à David le Glanaër pour cette initiative et pour avoir, par son interview, permis à Philippe Lukacs de nous inviter ainsi à « être, plus pleinement et de façon aussi pertinente que possible, responsable ».

Pour ceux qui veulent aller plus loin dans la découverte de ce chemin vers plus d’Alliance, je recommande vivement la lecture du livre de Philippe Lukacs  » Vers une économie de l’Alliance. Pour déjouer les dérèglements du monde « . Mon compte-rendu détaillé est disponible [ici]. Il devrait vous donner l’envie de courir chez votre libraire ! 😉

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Vers une nouvelle oikonomia : Philippe Lukacs et l’économie de l’alliance

Portrait d’un penseur transdisciplinaire

Philippe Lukacs incarne la figure du praticien-théoricien qui traverse les disciplines pour mieux comprendre les mutations contemporaines. Après HEC, il a tenu à se former à l’ethnologie auprès de Robert Jaulin, puis à la sociologie de la science avec Serge Moscovici. Il a su tisser des ponts entre anthropologie et management.

Son parcours professionnel témoigne d’une recherche constante d’innovation : ancien adjoint au DRH de Thomson, il fonde le Laboratoire du futur où il collabore avec l’équipe de Muhammad Yunus et le créateur de Max Havelaar. Professeur de management de l’innovation à Centrale Paris, créateur d’un incubateur pour startups à potentiel mondial, il co-fonde ensuite ENGAGE, accélérateur de la transition écologique et sociale.

Cette trajectoire singulière lui confère une légitimité toute particulière pour diagnostiquer les dysfonctionnements de notre époque et proposer des alternatives concrètes.

Une critique radicale de la marchandisation du monde

Le diagnostic : un monde réifié

Philippe Lukacs pose dans son dernier livre paru aux éditions Erès: « Vers une économie de l’alliance – Pour déjouer les dérèglements du monde » » un diagnostic sévère sur la logique selon laquelle nous construisons notre monde social: une logique d’échange. Celle-ci a tout transformé en marchandise, y compris les relations humaines. Cette « réification » généralisée nous rend aveugle à ce qui est au-delà des marchandises, le climat notamment, déshumanise nos rapports à l’autre et crée un monde fondé sur la « peur de l’autre » plutôt que sur la confiance.

Philippe Lukacs identifie plusieurs symptômes de cette dérive, parmi lesquels :  la financiarisation de l’économie, le pilotage par le seul PIB, la réduction de l’entreprise aux seuls intérêts des actionnaires. Plus profondément, il observe une société de « l’accélération vide de sens » où chacun, porté par la psychologie positive devient un « négociant » de sa propre existence.

L’alternative : l’économie de l’alliance

Face à cette impasse, Philippe Lukacs propose un changement de paradigme : chercher, en toutes occasions, à passer d’une logique d’échange à une logique d’alliance. Cette économie de l’alliance repose sur trois piliers :

 1. Reconnaître l’équivalence de valeur entre soi et l’autre.

 2. Maintenir et valoriser les différences comme sources d’innovation et d’humanisation.

3. Et, finalement, chercher à créer un « commun » partagé, qui dépasse la simple réciprocité de l’échange.

Les idées novatrices : repenser notre « loi de composition sociale »

Une pensée fondée sur les conclusions d’une ethnologie moderne

« L’univers humain est créé par la relation de partage avec un autre différent de soi » – (page 75). Philippe Lukacs rappelle que, dès 1974, un ethnologue qui était aussi mathématicien, Robert Jaulin, soulignait que c’est cette logique, d’alliance, qui « permet l’invention de vivre » alors que la logique d’échange conduit, mécaniquement, à une « civilisation cimetière ».

 Une anthropologie de la confiance

Contrairement aux approches qui voient dans le capitalisme la source de nos maux, Philippe Lukacs remonte plus loin : c’est la « peur a priori de l’autre » dont on trouve les traces dans la Bible qui a engendré les systèmes de protection dont la réification marchande n’est qu’une conséquence. Il importe donc de passer à un « a priori de confiance » permettant « l’invention de vivre ».

S’appuyer sur une logique ternaire plutôt que binaire

Un des apports de Philippe Lukacs réside dans sa promotion d’une « logique ternaire ». Il souligne que l’échange conduit à une logique binaire qui amène à opposer deux termes (Par exemple : soi/l’autre, capital/travail, croissance/décroissance) ou à ne raisonner qu’en ne prenant en compte que deux termes (Par exemple, objectif/moyens) ; alors qu’il relève que l’alliance correspond à une logique à trois termes : soi, l’autre différent de soi ET la relation de partage entre soi et l’autre. Et il montre toute la pertinence et la puissance qu’il y a, justement, à s’appuyer sur une logique ternaire, qui correspond à un mouvement humanisant, pour élargir les possibles (Par exemple, au-delà de la binarité objectifs/moyens, l’importance qu’il y a à introduire un troisième élément – la relation de partage – qui transforme l’opposition en alliance créatrice).

 Une méthode d’action concrète

Cette approche dépasse les limites du développement durable et de la décroissance en changeant la finalité même de l’activité économique : chercher non plus tant à créer « plus de biens » mais « plus de liens » : chercher à créer des occasions de relations de partage.

Trois axes d’actions

Philippe Lukacs ne se contente pas de théoriser. Il dégage trois axes sur lesquels agir pour favoriser des alliances, en donnant, à chaque fois, des exemples pour lancer la réflexion de chacun :

1. Favoriser l’épanouissement des personnes dans leurs multiples dimensions

2. Multiplier les relations de partage entre personnes et groupes

3. Développer la sensibilité à l’environnement et au « non-chiffrable »

L’art de créer du « commun »

L’originalité de l’approche réside dans sa praticité : il s’agit d’ajouter à chaque action professionnelle ou personnelle une « dimension relation » génératrice d’un « en plus » partagé. Cette démarche transforme progressivement la nature même de nos interactions.

« Faisons en sorte que nos échanges aillent au-delà d’un simple échange. Cherchons à générer avec nos interlocuteurs un ‘en plus’ partagé » (page 124)

« Ce n’est pas de passer en totalité de la logique de réification à celle de l’alliance.  Le changement à réaliser est de changer de centre de gravité : privilégier le plus possible, la logique de l’alliance » (page 79)

« En toutes occasions, dans notre activité professionnelle, dans nos engagements, imaginons comment du « commun » pourrait être partagé, et à le créer. » (page 85)

Des apports indéniables de cette pensée

Philippe Lukacs propose une synthèse originale entre anthropologie, management et écologie qui renouvelle notre compréhension des enjeux contemporains. Sa critique de la réification dépasse les analyses purement économiques pour toucher aux fondements anthropologiques de nos dysfonctionnements.

L’aspect opérationnel de sa démarche constitue un atout majeur : plutôt que d’attendre un changement systémique, il montre comment chacun de nous peut, à son niveau, agir dès maintenant.

Un manifeste pour notre époque

« Vers une économie de l’alliance » dépasse le simple essai de management pour proposer une véritable anthropologie politique adaptée aux défis du XXIe siècle. Philippe Lukacs nous invite à un changement de regard radical : voir dans l’autre non plus un concurrent ou un client, mais un partenaire dans « l’invention de vivre ».

Ce livre s’adresse à tous ceux qui pressentent que les solutions techniques ne suffiront pas à résoudre la crise écologique et sociale, et qu’il faut repenser nos façons d’être ensemble. Managers, citoyens, militants y trouveront des clés concrètes pour transformer leurs actions tant professionnelles que personnelles en leviers de changement civilisationnel. « Partir d’un a priori de confiance avec l’autre, chercher à dépasser une simple relation d’échange, chercher à créer du commun avec l’autre, un « en plus » partagé au-delà de l’échange, c’est un mouvement créateur de vivre » (page 124)

Dans un monde où l’accélération technologique menace de déshumaniser toujours davantage nos relations, Philippe Lukacs nous rappelle cette évidence : nous ne sommes vivants qu’à la hauteur de notre capacité à recevoir la vie d’autrui et sa reconnaissance dans le partage. Une leçon d’humanité dont l’urgence n’a jamais été aussi criante.

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Stratégie d’entreprise : Comment identifier et franchir les rochers qui bloquent vos ambitions


La stratégie selon Marc Sniukas : simplicité et efficacité

Marc Sniukas nous offre dans son dernier post une approche remarquablement simple et opérationnelle de la stratégie d’entreprise. Sa définition résonne par sa clarté : « La stratégie consiste à déterminer comment vous répondez aux défis et opportunités spécifiques qui bloquent vos ambitions ». Cette simplicité apparente cache une profondeur stratégique souvent négligée dans le monde des affaires.

La métaphore du rocher : visualiser les obstacles stratégiques

Imaginons notre parcours vers nos ambitions comme un sentier de montagne. Sur ce chemin, des rochers de différentes tailles peuvent barrer notre progression. Le premier rocher, celui qui se dresse immédiatement devant nous, mérite toute notre attention. Car tant qu’il ne sera pas traité ou contourné, aucun effort sur les obstacles suivants ne servira à rien. Pire encore, ne pas l’identifier peut mener à une collision frontale.

Les deux questions stratégiques fondamentales

Cette métaphore nous conduit naturellement à deux questions essentielles :

  1. Quelle est précisément mon ambition et pourquoi ?
  2. Quel est le rocher qui, dans l’instant présent et compte tenu de ma situation réelle, s’oppose à ma progression ?

Ces interrogations ne sont pas indépendantes. Elles interagissent dans un dialogue permanent entre nos aspirations et la réalité du terrain.

L’interaction dialectique entre ambition et réalité

L’art de la stratégie réside dans cette capacité à naviguer entre nos ambitions et les contraintes du réel. Parfois, nous devrons adapter nos objectifs aux rochers rencontrés. D’autres fois, la force de nos ambitions nous poussera à affronter ou contourner l’obstacle. Cette tension créative entre idéal et pragmatisme constitue le cœur de toute démarche stratégique efficace.

L’approche adaptative de Peter Compo : éliminer les goulots d’étranglement

Peter Compo, dans son ouvrage « The Emergent Approach to Strategy« , développe une vision complémentaire. Pour lui, « l’approche adaptative considère la stratégie comme la règle centrale d’un cadre de travail conçu pour éliminer les goulots d’étranglement (les problèmes critiques) qui empêchent d’atteindre nos aspirations ».

Son approche met l’accent sur la compréhension des dynamiques internes et externes de notre écosystème. En se concentrant sur les obstacles majeurs, les équipes conservent leur énergie et consacrent leur temps uniquement aux éléments cruciaux pour progresser.

Deux principes directeurs pour l’action

Cette réflexion nous amène à deux règles de conduite simples mais puissantes :

  1. Clarifier et partager : Avoir une ambition précisément définie et partagée avec ses équipes et parties prenantes
  2. Identifier et décider : Être lucide sur les obstacles et déterminer s’ils peuvent être surmontés ou si l’ambition doit être adaptée

L’analogie de la randonnée : accepter la responsabilité de nos choix

Tout randonneur expérimenté a vécu cette situation : dans les derniers mètres avant le sommet, un passage difficile nous confronte à ces mêmes questions stratégiques. Rocher instable, vertige face au vide, pierrier dangereux… À ce moment, nous devons choisir entre persévérer, contourner ou renoncer. Ces décisions peuvent transformer une belle randonnée en tragédie, rappelant que nos choix stratégiques portent toujours des conséquences.

Conclusion : Passez à l’action dès aujourd’hui

La stratégie n’est pas un exercice théorique. Elle demande du courage, de la lucidité et de l’action. Aujourd’hui même, prenez le temps de répondre à ces deux questions fondamentales pour votre projet, votre entreprise ou votre carrière.

Identifiez votre rocher prioritaire et décidez comment vous allez le franchir.

Commencez par cartographier vos ambitions principales, puis listez les trois obstacles les plus immédiats. Choisissez le premier et élaborez un plan d’action concret. Partagez cette réflexion avec votre équipe ou vos proches conseillers.

N’attendez pas demain. Votre sommet vous attend, mais il vous faut d’abord franchir le rocher qui se dresse devant vous.

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Et si la stratégie était moins une question de plans parfaits… que de mélodies incomplètes ?

Stratégie : l’art de composer avec l’incertitude, entre doute et détermination.

Un grand merci au Dr. George Wainaina pour sa question de savoir quelle définition je donne de la ce qu’est la Stratégie…. Une question que je craignais de me voir posée en écrivant mon post sur la difficulté de la définir en commentaire de l’article de Timothy Timur Tiryaki, PhD 😉) En effet s’il est facile de dire ce que la stratégie n’est pas, il est plus difficile de dire ce qu’elle est.

Pour s’accorder sur la définition que je donne de la stratégie, je dois, pour les non musiciens, une explication sur le titre de cet article.

Le si bémol majeur : une tonalité ambiguë

En musique, le si bémol majeur est une tonalité riche mais instable :

–   Elle évoque à la fois la gravité (proche du do mineur, tonalité du drame) et l’espoir (sa relative majeure, ré bémol, est lumineuse).

–   Comme en stratégie, elle oscille entre ce qu’on maîtrise (la partition, votre projet) et ce qui échappe (les réactions imprévisibles du marché, des concurrents).

A l’exemple d’un chef d’entreprise lance un produit innovant (sa « partition ») sans savoir comment les consommateurs l’accueilleront (les « notes manquantes »). Il doit improviser en gardant la mélodie globale — comme un jazzman qui suit une grille d’accords tout en s’adaptant aux autres musiciens.

Cette formule s’efforce de capturer à la fois l’incertitude (« la méconnaissance de cause ») et la dimension à la fois mélancolique et résolue de l’action stratégique.

La stratégie est un art et non une science

Pour commencer, disons que la stratégie n’est pas une science mais un art. Et là presque tout est dit. Contrairement à une science, le résultat d’un art n’est pas anticipable (à moins de répéter à l’infini toujours le même tableau, ou le même roman, ce qui n’est plus de l’art mais de l’industrie ! …).

Agir en méconnaissance de cause : La stratégie n’est pas un calcul froid, mais un pari éclairé.

On agit sans certitude (comme un général ignorant les plans de l’ennemi, ou un startuppeur testant un marché). Mais on le fait au service d’une cause (votre mission), qui donne un cap malgré l’incertitude. Clausewitz parlait du « brouillard de la guerre » (Nebel des Krieges). La stratégie, c’est avancer dans ce brouillard avec une boussole (son projet) et sans carte détaillée.

L’art d’avancer dans le brouillard, avec une partition incomplète.

La stratégie est l’art de poser des hypothèses de ce qui peut se passer l’autre côté de la colline, cette colline qui vous cache « l’ennemi ». C’est décider en méconnaissance de cause.

L’art du « Si … »

Toute action est portée par une stratégie, la plupart du temps informulée ou implicite et non explicitée : l’espoir de voir se réaliser ce qui est recherché par l’action entreprise. Si je fais ceci alors j’ai l’espoir d’obtenir cela.

Toute stratégie élaborée élabore les différentes hypothèses de ce que ce qui peut surgir de ce brouillard une fois qu’il se dissipera.

Une partition incomplète mais un thème clair, celui de la mission.

La stratégie est un art d’agir mis au service d’un objectif qui est lui-même au service d’une mission et d’un projet. L’art d’imaginer les différents scénarios permettant l’atteinte de cet objectif tout en sachant que l’objectif pourra lui-même évoluer en fonction des circonstances qui se présenteront au cours du « combat ».

Le terme de combat par son étymologie (Cum = avec) devant utilement s’entendre comme un combat « avec » plutôt que « contre » pour atteindre la réussite du projet et l’accomplissement de la mission.

Cet art ne se résume pas à être « agile » et à danser avec le « concurrent » (toujours le « cum » au sens de « avec », ou plutôt à être agile dans ses propres chaussures. C’est-à-dire avec et en tenant compte de ses propres moyens du « ici et maintenant » (certains parlent d’ »effectuation ») tout en intégrant que ces moyens pourront évoluer dans le temps et en fonction des circonstances rencontrées.

La partition stratégique : une sonate en trois temps

Pour pousser la métaphore musicale, j’évoquerais une partition stratégique en trois temps :

1. Silence : Ecouter le marché et les signaux qu’il envoie

Airbnb a pivoté en 2009 après avoir écouté ses premiers utilisateurs (passant des matelas gonflables aux logements).

2. Thème : Lancer une action claire,

Tesla mise sur les voitures électriques avant que le marché ne soit mûr.

3. Adaptations : Improviser les variations en fonction des « contre-chants » du marché

Netflix transforme un déclin (celui de Blockbuster) en opportunité — passant du DVD  au streaming comme un jazzman qui change de tonalité en cours de morceau

 

Votre projet est une mélodie, le marché en écrit les contrechants.

Et vous, quelle est votre partition incomplète ?

La stratégie, c’est oser jouer une mélodie dont on ne connaît pas toutes les notes, mais dont on croit à la beauté.

Trois questions pour passer à l’action :

  1. Quelle est votre mission (votre « thème » musical) ?

  2. Quelles hypothèses faites-vous sur « l’autre côté de la colline » ?

  3. Comment allez-vous écouter les « contrechants » du marché pour ajuster votre partition ?

 Cet article est une invitation à la discussion. Vous avez un exemple de stratégie « en si bémol » ? Un échec qui vous a appris à composer avec l’incertitude ? Partagez-le en commentaire — les meilleures partitions s’écrivent à plusieurs.

 

 

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L’Entreprise et l’Impact Social : Réconcilier Profit et Éthique ou Fausse Dichotomie ?

Préambule : Un positionnement nécessaire

Avant d’aborder cette réflexion, il convient de préciser un point essentiel : cette réflexion personnelle émane d’une conviction profonde en faveur de l’éthique et de la valeur sociale de l’entreprise. Cette position, étayée nombre de mes articles antérieurs sur ces sujets, me permet d’aborder la question avec la sérénité nécessaire, à l’abri de tout soupçon de complaisance envers un capitalisme débridé. Cette précaution méthodologique m’autorise à questionner certaines évidences sans craindre d’être taxé de partialité pro-business

Quand l’éthique rencontre la réalité économique

Dans le débat contemporain sur la responsabilité des entreprises, une opposition artificielle s’est cristallisée entre profit et impact social. Cette dichotomie, bien qu’intellectuellement séduisante, masque une réalité plus complexe et plus prometteuse : l’interdépendance fondamentale entre création de valeur économique et contribution sociale.

La genèse d’une réflexion : Au-delà des slogans

Le Piège de la Rhétorique « Au-Delà du Profit »

L’expression « au-delà du profit » qui parsème les discours sur la RSE révèle un malentendu profond. Elle suggère que profit et impact social évoluent sur des trajectoires parallèles, voire opposées. Cette vision binaire ignore une vérité économique fondamentale : dans une économie de marché saine, le profit durable ne peut exister sans création de valeur réelle pour les parties prenantes.

L’éthique comme intelligence stratégique

Contrairement aux idées reçues, l’éthique d’entreprise n’est pas une contrainte externe imposée par la société. Elle constitue une intelligence stratégique, un système d’alerte précoce qui protège l’entreprise contre ses propres excès destructeurs. Une entreprise qui détruit ses clients, ses employés ou son environnement ne fait pas preuve d’efficacité économique – elle révèle son incompétence managériale.

Le cœur de l’argumentation : client et société, même combat

L’unité fondamentale : Création de valeur et impact social

Reprenons l’axiome de Peter Drucker : « Le but premier d’une entreprise est de créer un client. » Cette affirmation, loin d’être une banalité marketing, révèle une vérité profonde. Créer un client signifie identifier un besoin authentique et y répondre de manière durable. Or, tout besoin authentique possède par nature une dimension sociale.

Cas concret : L’industrie pharmaceutique Quand Novo Nordisk développe des traitements contre le diabète, elle ne fait pas de la philanthropie « au-delà du profit ». Elle répond à un besoin médical massif, génère des revenus substantiels, et contribue simultanément à réduire les coûts de santé publique. Le profit et l’impact social ne s’additionnent pas – ils se confondent.

L’entreprise prédatrice : Exception qui confirme la règle

L’entreprise authentiquement prédatrice – celle qui détruit systématiquement la valeur qu’elle prétend créer – révèle par contraste la normalité vertueuse. Enron, Theranos, ou certaines pratiques bancaires prédatrices ne représentent pas l’échec du capitalisme mais celui de la logique entrepreneuriale elle-même.

Exemple historique : La transformation de Ford Quand Henry Ford double les salaires de ses ouvriers en 1914, il ne cède pas à un élan philanthropique. Il résout un problème de turnover, améliore la productivité, et crée un nouveau marché pour ses automobiles. L’impact social (émergence d’une classe moyenne consommatrice) découle directement de la logique économique.

Les implications managériales : Vers une nouvelle grammaire de l’entreprise

Redéfinir les indicateurs de performance

Si client et impact social se confondent, nos tableaux de bord doivent évoluer. Au lieu d’opposer indicateurs financiers et extra-financiers, il faut mesurer la création de valeur dans sa globalité :

  • Durabilité client : Fidélisation et satisfaction sur le long terme
  • Écosystème de valeur : Impact sur l’ensemble de la chaîne de parties prenantes
  • Résilience systémique : Capacité à maintenir la création de valeur face aux chocs

L’innovation comme synthèse naturelle

L’innovation authentique illustre parfaitement cette synthèse. Quand Tesla révolutionne l’automobile électrique, elle ne fait pas du « profit puis de l’écologie » – elle résout simultanément un problème de rentabilité industrielle et un défi environnemental. L’innovation est par essence la recherche de cette synthèse optimale.

Les limites et nuances : Garder le cap de la lucidité

Quand les temporalités divergent

Il existe des situations où profit immédiat et impact social peuvent temporairement diverger. La fermeture d’une usine obsolète génère du profit (optimisation des coûts) mais crée un impact social négatif immédiat (chômage local). Cependant, maintenir artificiellement une activité non-viable ne constitue pas une solution durable – elle ne fait que reporter et amplifier les difficultés.

L’arbitrage temporel comme défi managérial

Le véritable défi managérial consiste alors à gérer ces arbitrages temporels en minimisant les coûts sociaux de transition tout en préparant les conditions d’une nouvelle création de valeur. C’est précisément ici que l’éthique révèle sa dimension stratégique.

Pour une réconciliation productive

Dépasser la Guerre des Chapelles

La polarisation entre « zélateurs de l’éthique » et « partisans du profit » stérilise le débat et freine l’innovation sociale. Elle détourne l’attention des vrais enjeux : comment améliorer notre capacité collective à identifier, mesurer et créer de la valeur authentique ?

L’Entreprise comme laboratoire social

Reconnaître l’unité fondamentale entre création de valeur économique et impact social ne conduit pas à la complaisance. Au contraire, cela élève le niveau d’exigence : chaque décision managériale doit être évaluée à l’aune de sa capacité à générer une valeur durable pour l’ensemble des parties prenantes.

L’entreprise de demain ne sera ni « capitaliste » ni « sociale » – elle sera tout simplement plus intelligente dans sa compréhension de ce qui constitue la valeur. Et cette intelligence constitue peut-être notre meilleur espoir de concilier performance économique et progrès social dans un monde aux ressources limitées.

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Partie prenante : rédéfinir pour mieux agir.

Redéfinir la place des parties prenantes

Dans son intervention sur XERFICanal, Dominique Turcq pose la question de la représentation des parties prenantes au sein des conseils d’administration. Une interrogation utile, mais qui me semble révélatrice d’un malentendu plus profond : considérer la représentation comme une concession de pouvoir, au lieu d’un levier de performance partagée.

Partie prenante : un mot à prendre au sérieux

Plutôt que de penser en termes de décision à partager ou de pouvoir à céder, commençons par interroger le sens même du mot. Comme je l’ai développé dans un article déjà ancien (« L’écologie de votre écosystème d’entreprise ») une partie prenante est une partie qui prend part à un projet et contribue à sa réussite. Ce n’est pas un contre-pouvoir, mais un partenaire.

Intégrer l’impact dans la gouvernance

La vraie question n’est donc pas « comment donner du pouvoir ? », mais plutôt : Comment mes décisions impactent-elles ceux qui soutiennent mon activité ? Répondre à cette question, c’est bâtir une gouvernance plus durable, plus responsable, et à terme, plus performante.

Représenter, oui, mais après avoir compris

La réflexion sur la représentation des parties prenantes est essentielle. Mais elle doit venir après une compréhension profonde de ce qu’est une partie prenante. Tant que celle-ci sera vue comme une menace au pouvoir des actionnaires, les entreprises passeront à côté d’une richesse d’intelligence collective.

Vers une gouvernance plus juste

Nous n’avons pas besoin d’un partage de pouvoir contraint. Nous avons besoin d’une conscience élargie de notre interdépendance. C’est en prenant soin de ceux qui prennent part que l’on bâtit des organisations durables et humaines.

Prenons le temps de cartographier nos parties prenantes, dialoguons avec elles, et bâtissons une stratégie qui inclut plutôt qu’elle n’exclut.

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Des « Données aberrantes » aux Signaux faibles : Quand l’atypique devient précurseur.

En lisant ce post de Matthias Mueller, « Do you pay attention to outliers? » je  découvre (et apprends) ce terme anglais “outlier”, désignant une donnée hors norme, atypique, très éloignée du reste. Ce concept m’a immédiatement interpellé : dans quelle mesure un outlier peut-il être rapproché de la notion de signal faible, cet indice discret annonciateur d’un futur en gestation ? Et si cette exception contenait, en creux, le futur en train de se dessiner ?

Toute donnée aberrante n’est pas la promesse d’une tendance émergente.

Matthias Mueller cite Roger Martin, pour qui « Outliers are windows on the future ». Une affirmation forte, reprise plus loin : « The future is revealed in the outliers that will become the mean someday ». Mais ce rapprochement, aussi séduisant soit-il, ne va pas de soi. Il soulève une question cruciale : qu’est-ce qui fait qu’une donnée atypique cesse d’être une simple exception pour devenir un signal annonciateur d’une tendance émergente ?

Seul le futur validera une donnée aberrante en signal faible qu’il fallait écouter.

Le problème est qu’on ne peut identifier un outlier comme signal faible qu’a posteriori : c’est le présent, devenu observable, qui valide rétroactivement l’intuition. Ce qui distingue un véritable signal faible d’un simple écart statistique, ce n’est donc pas son caractère aberrant, mais sa capacité à s’inscrire dans une pré-continuité encore invisible — un motif embryonnaire, un frémissement de pattern.

Quand plusieurs points dessinent une droite ils ne sont plus aberrants.

Dire que « It’s the outliers that help us imagine what could be » n’a de valeur que si l’on est capable de discerner dans l’anomalie un germe de régularité à venir. Ce discernement n’est ni automatique ni évident : il exige une lecture sensible, contextuelle, souvent contre-intuitive. Autrement dit, tous les outliers ne sont pas des signaux faibles. Mais certains le deviennent — quand ils résonnent avec un futur possible et qu’ils en dessinent un pattern possible.

L’exception comme écho du futur.

C’est ici que se situe le vrai enjeu : non pas confondre l’exception avec la promesse, mais apprendre à écouter ce que l’exception murmure du monde en train de naître. Ce qu’elle révèle du monde en gestation. Non pour céder à chaque étrangeté, mais pour mieux discerner ce qui, dans l’anomalie, vibre avec un futur possible.

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