Tout est simple pour qui a compris que tout est complexe.

Tout est simple à partir du moment où l’on comprend que tout est complexe si ce n’est compliqué.

Sophie Chassat nous livre, dans « La complexité – critique d’une idéologie contemporaine » son analyse du paradigme de la complexité et de la place qu’il occupe aujourd’hui dans nos discours et nos représentations du réel. Bien que je n’en partage pas toutes les assertions je trouve ce texte tout à fait remarquable et j’invite, vivement, à sa lecture tous ceux qui se questionnent sur le réel et sur l’action qu’il est possible d’avoir au sein de ce réel.

Oui une idéologie peut dévoyer la pensée du complexe

Je comprends et partage la critique que Sophie Chassat fait des dérives de l’intégration des représentations de la complexité du monde. Ainsi je conviens avec elle qu’il peut en ressortir une véritable idéologie de la complexité condamnant au désarroi, à l’inaction ou à une surenchère de complexité et Sophie Chassa en donne dans les deux premières parties de son analyse de parlantes illustrations.

Non la complexité n’est pas une idéologie mais bien une réalité

Pa contre, il serait irréaliste de vouloir rejeter la réalité de la complexité du réel au seul fait que certains en font un argument d’inaction et pour rejeter toute responsabilité des actes qu’ils préfèrent ne pas mettre en œuvre.

La complexité n’est pas une idéologie. Reconnaitre que le réel est complexe ne dicte pas une règle de conduite face à cette complexité du réel ni une règle de vie dans ce réel. Au mieux, reconnaitre la complexité du réel doit être une invite à comprendre ce réel au-delà du simplisme de nos aprioris ou des représentations forcément parcellaire que chacun de nous à de ce réel.

Aussi, ne rendons pas responsable la complexité du monde des dérives idéologiques dont certains travestissent cette notion aujourd’hui.

« Rien n’est simple ! » : une invitation à connaître et à comprendre par l’analyse du système dont la chose ou la situation est partie prenante

J’ai pour habitude de mettre en garde mes clients comme mes étudiants en leur disant « Méfiez-vous de toute personne (et j’en connais beaucoup), qui vous dit, l’index levé et péremptoire, les choses sont simples ». Non, aucune chose, aucun fait, aucune situation n’est simple, ou s’il l’est, il ne l’est que du fait du simplisme de l’analyse de qui en rend compte et l’affirme.

… et d’offrir à soi et aux autres une lecture simple du complexe.

Tout devient simple une fois que l’on intègre que tout est compliqué et que pour agir, il nous appartient de décrypter et de lire le système dans lequel le fait ou la situation trouve sa place et son explication.

Ce décryptage permet de poser le système et l’écosystème de la situation et met à même d’identifier les composantes et leviers sur lesquels il est possible d’agir. Ce choix qui n’a rien de prométhéen se fera humblement en fonction des choix de chacun et du réalisme des pouvoirs qu’il a de faire bouger le ou les leviers choisis.

Nous nous retrouvons pleinement avec Sophie Chassat dans la troisième partie de son analyse et notamment aux points 3.1. « Le simple derrière le complexe » et 3.3. « Eloge de la simplification ». Je vois, pour ma part, dans cet éloge une invitation à rendre lisible la complexité par la transcription du système à laquelle l’analyse donne accès. Ce que j’appelle « la Bienveillance : bien voir et bien donner à voir pour aider à la clairvoyance de soi et de l’autre » (cf. mon article éponyme)

Loin de l’analyse sans fin, le choix assumé d’agir, en entrepreneur, sur le ou les leviers choisis avec humilité et détermination.

Il est clair que l’analyse peut pour qui veut s’y complaire être poursuivie indéfiniment et paralyser toute action en succombant au syndrome de la « Paralysis analysis » évoqué dans l’article.

Celui ou celle – et c’est le propre de tout entrepreneur – qui fait le choix d’une action pour influer sur le réel qui s’offre à lui poussera opportunément son analyse au niveau nécessaire à dégage les leviers d’action qu’il peut actionner. Ne pas le faire reviendrait à « enjamber le réel » pur reprendre cette belle expression d’Ibrahima Fall. S’enfermer dans cette analyse reviendrait à s’interdire toute action. Pour un entrepreneur, l’avancée telle que l’évoque Ed Morrison dans l’approche « Strategic doing » offre à l’entrepreneur un moyen salutaire d’affronter le réel d’agir sur lui en assurant sous son pied chaque nouvelle pierre du gué. « L’entrepreneur … entreprenant » trouvera, entre autres, avec l’ « Emergent approach » telle que développée par Peter Compo une autre pierre lui permettant de franchir le gué entre l’inaction et l’analyse sans fin.

Démystifier le complexe ou démystifier de la mystification du complexe inextricable ?

Aussi, et alors même que je partage très largement l’analyse faite dans la troisième partie de l’article il ne me parait pas nécessaire de démystifier la complexité comme nous y invite Sophie Chassat dans la toute fin de sa conclusion. Une telle invitation tout comme le titre de l’article « La complexité … une idéologie contemporaine » me paraissent contreproductifs en invitant, pour qui ne prendrait pas la peine de lire les développements de l’article, de conclure une fois de plus, l’index levé et toujours péremptoire : « Tout est simple ! ».

La mystification qu’il faut combattre est non la complexité qui n’en peut mais, mais bien celle de laisser penser que cette complexité est inextricable alors qu’il nous appartient de la prendre en compte et de la décrypter avec humilité et à hauteur de nos moyens pour alimenter notre action.

La complexité est une réalité du réel. Elle n’est pas pour autant inextricable. Et la complexité n’est pas un mythe mais bien une réalité et une caractéristique inaltérable du réel.

Une complexité qui ne dicte en soi et par elle-même aucune direction d’action ce qui en ferait une idéologie. Le complexe est tout simplement et face à cette complexité il nous appartient de choisir notre action. Il nous laisse libre de l’action que nous décidons d’avoir dans le réel et d’agir ou non dans ce réel et sur ce réel.

Reconnaissons et acceptons le complexe du réel et apprenons à le décrypter pour en faire le point d’appui de notre action.

Apprenons à lire la complexité du réel comme on le fait d’une langue étrangère, d’abord en l’ânonnant et en la décryptant avec difficulté puis en la pratiquant et en échangeant avec les autres pratiquants sans chercher à ne faire entendre que sa seule voix et son seul point de vue et sans craindre d’être contredit et enseigné par qui nous offrira, au cours du débat, qu’est toute action, une meilleure lecture de cette réalité.

 

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L’entreprise : fleur ou iceberg ?

La réalité de l'organisation est complexe. Interdit elle à l'entrepreneur de décider et d'agir ?

L’iceberg de l’organisation

Il est tout à fait vrai que seule une faible partie de la réalité d’une organisation est directement observable. Thibaut Brière, en citant Evert Gummesson (1991) et la métaphore de l’iceberg, nous rappelle que seuls 10 à 15 % de l’organisation est visible,

Un constat qui place chacun des entrepreneurs, chacun des dirigeants et donc des décideurs, en haut de l’iceberg et devant une difficulté « titanesque », celle de savoir comment appréhender et tenir compte des 85 à 90 % immergés et non visibles.

Les observateurs (plus ou moins bien intentionnés) sont nombreux à décrier l’aveuglement de certains des dirigeants voire l’incompétence de beaucoup qui leur font préférer des solutions immédiates appliquées sur des problèmes dont la complexité est ignorée ou niée.

Une position périlleuse …

A leur décharge, reconnaissons qu’entrepreneurs et dirigeants, tout en haut de l’iceberg sont dans une position bien périlleuse.

Oui, le décideur n’a pas le luxe de prendre le temps de tout appréhender, de tout analyser et de tout prendre en compte de la réalité de son organisation.

Pressés par l’urgence et la multiplicité des décisions à prendre en jet continu. C’est un luxe qu’ils ne peuvent se permettre.

… Mais non surprenante

Reconnaissons, de plus, que la prise en compte de la complexité et la multiplicité des approches d’une situation développées par « les humanités » ne sont pas ce qui a été au cœur de la formation de la majorité des dirigeants et des décideurs d’aujourd’hui. Reconnaissons, pour le regretter, la non préparation de beaucoup à une approche systémique de la réalité. Il n’est que de rappeler la succession des fonctions dominantes dans l’entreprise qui ont jalonnées décennies après décennies la vie de l’entreprise, avec la prédominance de certaines  fonctions à certains moments de l’histoire (la production, le commerce, le marketing, la finance, les ressources humaines, les nouvelles technologies, …)

La démarche RSE (Responsabilité Sociétale de l’Entreprise ) est une notion récente. Elle montre bien que cette prise en compte de la globalité et de la complexité n’est pas naturelle. Il a fallu une loi, la loi PACT, pour sensibiliser les entreprises à la prise en compte de l’ensemble des dimensions de leur écosystème.

Il est facile pour un observateur extérieur et non impliqué de pointer ce manque de « réalisme » (cette non prise en compte de la totalité de la réalité) de nombre de dirigeants. Il lui est facile de dénoncer ces vues étroites de nombre de dirigeants et de prôner la prise en compte d’approches longitudinales, transversales, externes et internes pour appréhender la réalité de l’organisation.

Tout cela est vrai mais est-ce réaliste ? Comment l’entrepreneur que vous êtes, quand bien même en seriez-vous conscients et en volonté de le faire, peut-il y parvenir ?

Alors que conseiller à ces entrepreneurs ?

  1. Ne rien décider tant que l’ensemble de la réalité de l’organisation n’aura pas été investiguée et comprise par la multiplication et la convergence d’études transversales, longitudinales, internes et externes ?Les années d’études qui y sont nécessaires ne sont guère compatibles avec le temps de l’action et de son urgence.
  2. Les engager à avoir le courage de prendre de mauvaises décisions, comme nous y invite Véronique Nguyen ?

Son invite est intéressante. Je n’en partage toutefois pas complètement l‘analyse de ce qui est présenté comme la « mauvaise décision ».  Pour moi et contrairement à cette présentation, prendre une mauvaise décision n’est pas prendre une décision qui ne serait par rationnelle. Selon moi, opposer « mauvaise décision » et « décision rationnelle » ne tient pas. Opposer  » décision rationnelle  » et « décision risquée » ne vaut pas.
Le courage n’est pas de prendre une mauvaise décision mais tout simplement de prendre une décision. Le courage est de décider et autant « bien » décider en étant, notamment conscient des biais cognitifs dont nous sommes tous victimes.

Au final le décideur décide seul mais il est possible pour un responsable d’organiser sa décision et de la raisonner en l’appuyant sur le sens donné à l’action et sur un certain nombre de règles et de fonctionnement. Toute entreprise gagne à définir précisément son système de décision, à l’activer et à le maintenir avec le plus grand soin.

L’équilibre entre l’approche solution et l’approche problème

Il est de bon ton de décrier le manque de profondeur des décideurs qui succomberaient à la soif de solutions toutes faites sans s’assurer de la réalité du problème. Il est alors pertinent de mettre en garde contre le probable risque de voir cette solution ne rien solutionner du tout.

Dénoncer une telle inclinaison du dirigeant revient à privilégier comme antidote, une approche problème. Une approche qui s’intéresse prioritairement et majoritairement au problème, à son identification, à sa qualification et à sa compréhension. Rappelons nous Einstein qui affirmait : « Si j’ai une heure pour résoudre un problème, je passe 55 minutes à étudier le problème et les 5 dernières minutes à proposer une solution ».

Comme l’affirme Michel Crozier « le problème est le problème ».

Toute la question est de faire en sorte que l’identification et la qualification du problème puisse se faire à la fois de manière pertinente et avec la meilleure économie de moyen. Et cela n’est ni fréquent ni simple à obtenir.

Alors et si l’on évitait le maximum de problèmes en définissant le sens de l’action de l’entreprise en donnant du sens le plus en amont possible et en le partageant dans l’entreprise ?

Si cela ne vaut pas assurance d’éviter tout problème, du moins est-ce le moyen d’en éviter un bon nombre et de solutionner plus aisément ceux que l’on n’aura pas pu éviter en donnant des repères pour décider des solutions.

La prise en compte de notions de base et donc essentielles

Envisager son entreprise comme un système au sein de son écosystème en étant tout à fait clair sur la raison d’être de son entreprise. Les notions de Vision, de mission, de contribution, domaine, parties prenantes, et au final de Marque avec sa promesse et l’engagement que l’entreprise prend vis-à-vis de son marché de tenir cette promesse résume le tout de la décision.

Avec la prise en compte de la notion à la base de la sociologie des organisations qui est « l’intelligence des acteurs » cette intelligence de comprendre les « bonnes raisons «  qu’à chacun  des acteurs d’agir et de réagir comme il le fait. Aussi l’intelligence des acteurs est-elle à la fois 1) l’intelligence de chacun des acteurs qui agit sur la base de ses bonnes raisons et aussi 2) l’intelligence de l’observateur qui comprend (prend avec), en les identifiant les raisons qu’ont les acteurs d’agir comme ils le font.

La bienveillance : le bien voir et le bien donner à voir

Aucune décision « sensée » ne peut exister en l’absence de la prise en compte consciente et claire de ces quelques notions de base et donc essentielles. Ces notions sont simples et exigeantes. Elles obligent l’entrepreneur comme tout décideur à devoir répondre clairement à ces quelques questions. Ses décisions, prises en fonction de ces repères « directionnel » seront alors « raisonnables ». Notons que le terme de Direction (La Direction) fortement chargé de sa dimension hiérarchique a perdu aux yeux de beaucoup ce sens d’orientation et de « sens ».

La notion de vision est essentielle au sens donné à l’entreprise par son créateur et son dirigeant. Le lien est naturel entre la clarté de la vision et la notion de bienveillance qui loin de toute notion morale et non opératoire est l’art de « bien veiller et de bien donné à voir ». Je développe cette notion dans mon article : la bienveillance ou l’art du bien veiller et du bien donner à voir.

En partageant ces réponses au sein de son organisation et avec ses parties prenantes, il permettra à l’ensemble des acteurs du système qu’est l’entreprise et de son écosystème d’agir avec sens et dans une autonomie accrue en permettant ainsi une adéquation renforcée entre les actions initiées au plus prêt de leur terrain et les circonstances et besoins de ce terrain.

Des glaces de l’iceberg aux promesses de la (perma)culture

Alors oui, seuls 1à à 15 % de la réalité d’une entreprise sont visibles. Pour filer la belle métaphore illustrée par les planches montrant une fleur avec, sous la terre, une vue de son réseau de rhizomes, faut-il, passer un temps infini, temps dont l’entrepreneur ne dispose pas, pour faire des années d’études de botaniste ?

Ne vaut-il pas mieux avoir conscience de ces quelques règles simples et travailler le sol et ses profondeurs pour nourrir ces racines que sont la communauté des acteurs de l’entreprise et de son éco-système, en l’enrichissant de ses réponses.

Toute plante pousse en fonction du soleil et de la lumière qui lui sont données et accessibles. Il n’est que de voir, en forêt, les arbres allonger leurs branches pour aller chercher la lumière là où le ciel est accessible au travers des branches des autres arbres.

En conclusion

Se rendre compte que plutôt que d’être tout en haut de la pyramide, en tant que dirigeant l’on est assis tout en haut d’un iceberg a de quoi refroidir. Positivement convenons que cela est « rafraichissant » et calme des tendances à croire en sa toute puissance.

Au final il me plait de préférer pour l’entreprise l’image de la fleur à celle de l’iceberg. L’image d’un edelweiss qui lie et l’iceberg (qui est bien là) et la fleur (qui se nourrit de ses racines) me parait une bonne illustration de ce mariage.

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