25/06/2021. Qui opère en stratège. Interview d’Yves Richez – 2/3


Les potentiels et leur détection

 

1. Les potentiels
2. 
L’« Etre » (Occident) et l’« Ecart » (Chine)
3. 
Les trois lointains
4. La détection des potentiels
5.
De quelle promesse le potentiel est-il porteur ?

(Note : les mises en caractères gras sont le fait de RéSolutions)

1. Les potentiels.

Vous insistez sur l’importance d’être attentifs aux potentiels (qui par nature existent avant même d’être révélés) et de porter une grande attention à leur détection.

Comment définissez-vous un potentiel ?

  A l’instar de mes réponses précédentes, je cherche avant tout à signifier un mot, c’est-à-dire lui donner son sens correct et exact. J’ai exploré le mot potentiel pendant 7 ans. Définir un mot est un abus de langage, car l’on ne définit pas un mot, mais ce à quoi il se rapporte.

Et pour cela il y a des règles qu’il n’est pas utile d’aborder ici. J’ai signifié le terme à partir du grec, du latin et du chinois.

Il me semble important de rappeler qu’un mot ne vaut que par celui qui le précède et celui qui le suit.

C’est pourquoi, en Occident la signification du potentiel nous vient du latin potentialis, qui signifie « puissance » qui a dérivé au 19ème siècle vers le sens de virtualité et éventualité. On retrouve chez les grecs cette idée de puissance, avec le terme kratos, conduisant à cette élaboration d’autos-kratos, ou, l’homme « tout puissant » sur le monde – afin de prouver son émancipation des Dieux de l’Olympe. L’accès à la Vérité (alethêia ), à la raison (logos), à l’action de comprendre (mathésis), et à l’âme (psukê) etc., virtualise chez l’humain d’Occident la croyance, puis la certitude, qu’il peut tout de lui-même et par lui-même : « on a tout en soi » est certainement l’une des illustrations les plus étonnante de cette croyance.

Le mot virtualité, du latin virtualis, signifie, qui n’est qu’en puissance, juste à l’amont de l’actualisation, c’est-à-dire, ce qui devient effectif (donc qui s’inscrit dans la réalité). Le terme potentiel va ensuite signifier, la somme des forces pour qu’un système devienne actif. La dépression au large, la haute marée et la lune conduisent à une somme de forces pour que la vague soit, du point de vue du surfer, « idéal ».

Côté chinois, la notion de potentiel peut s’appréhender par che (shi). Mais che est indissociable de la configuration (shi-wei / moment-position) et de l’appréciation des tendances, de la propension générale (da shi). Côté occident, le potentiel s’est substantivé pour devenir un « quoi » mesurable. Il s’est décliné à la personne (elle a du potentiel), jusqu’à devenir un critère identitaire (un haut-potentiel). Le mot a été coupé et détourné de son principe opérant, efficient et dynamique, pour devenir une modalité technique et psychologique ; « On a du potentiel, on est un potentiel, il y a du potentiel, etc ».

Ces expressions sont ennuyeuses, car elles utilisent un mot en dehors de son sens pour lui attribuer des valeurs et des qualités qu’il n’a pas.

 2. L’« Etre » (Occident) et l’« Ecart » (Chine).

 Vous insistez sur la notion d’« Entre » et « d’Ecart » sur lequel vous avez construit tout votre travail. Le potentiel est au cœur de cette notion d’écart. Vous rappelez que ce potentiel n’est pas une composante de l’« Etre ».

En quoi cette différence est-elle importante et quelles en sont les conséquences ?

 Il faut rendre à « César ce qui lui appartient ». Je dois cet emprunt de l’entre et l’écart [1] à François Jullien, sinologue, helléniste et philosophe.

Je ne sais pas si j’insiste sur ces deux termes. Je les utilise pour ce qu’ils offrent comme sens correct.

Le terme entre implique de l’espace, quant à écart, il implique de la distance. Ce dernier offre l’avantage d’objectiver, puisque de l’écart, il est possible de regarder l’objet à distance. L’écart n’est donc pas la différence. De l’une, il y a un lieu d’où l’on regarde en face, alors que la différence se subjective par ce qu’elle implique de distinction et de comparaison. Ceci différent de cela, lui différent de l’autre : « Ce manager est bien différent de l’autre, regardez comme il a du leadership ». Il y a de la différence entre la langue italienne, allemande, française et anglaise, mais il y a de l’écart entre la langue autant que l’écriture française et la chinoise. L’une est sémantico-consonantique, l’autre est idéo-pictographique. Sans comparaison, il n’y a rien à juger.

De l’entre, il y a de la virtualité, la pensée ne peut s’égarer dans l’abstrait ou dans les idées ; nous pourrons à ce sujet rappeler que la perspicacité et le discernement sont les qualités inhérentes à la capacité de distinguer dans l’entre les situations, les choses, ce quelque chose que le plus grand nombre de remarque pas.

Donc, oui, d’une part, le potentiel n’est ni critère psychologique, ni un critère technique, car le potentiel s’amorce dès lors qu’il y a de l’entre – donc de l’espace – ou de l’écart, de la distance. Entre les falaises, il était possible de construire un pont. Dans l’entre les marées, les pêcheurs écument les rochers…

Le potentiel est par conséquent tressé, lié, inhérent, inséparable de l’entre et de l’écart. Je reviens sur mon image du surfer.

Sans les facteurs externes à lui, et sans la configuration des côtes, l’océan ne pourrait produire cette houle qui va s’actualiser en vague surfable. Entre la côte et les hauts fonds, il y a cet entre duquel, la mer se virtualise, puis s’actualise en vagues. Il faut un moment (shi) et une position (wei) spécifique, pour que la convergence de ces forces offre une vague lisse et puissante accessible au surfer.

Sans entre ni écart, le potentiel ne peut ni s’amorcer, ni se virtualiser, donc ne peut s’actualiser. Sans internet, Google, n’existerait pas.

Vouloir exploiter ce qu’un potentiel offre sans l’intégrer dans ce qu’il implique d’entre et/ou d’écart, c’est comme vouloir surfer sur une mer à marée basse.

C’est pourquoi, vouloir montrer la différence entre les personnes (les êtres) en pensant que cela va contribuer à favoriser la diversité est une erreur. Cela va au contraire accentuer les comparaisons humaines, encourager l’hypertrophie identitaire de celles et de ceux qui sont « plus ceci ou plus cela » par rapport aux autres.

L’ornithorynque est un mammifère, mais il n’est pas différent des humains, il est à l’écart. Il pond des œufs.

C’est en travaillant sur les écarts entre les humains que l’on pacifiera les Société et ses organisations, quelles qu’elles soient. La différence et la subjectivité sont le potentiel à partir desquels, l’être tire ses idées néfastes et belliqueuses. C’est pourquoi, je n’utilise plus le mot « être » devant humain, afin de lui enlever tout pouvoir de comparaison, de subjectivité, et par conséquent, de possible nuisance.

3. Les trois lointains.

 Vous insistez sur l’observation comme moyen de détection de ces potentiels. Vous insistez, là encore, sur les différences en la matière entre les façons de regarder occidentales et chinoises et vous insistez notamment, pour cette dernière, sur une façon de regarder très particulière : celle des « trois lointains ».

Pouvez-vous nous préciser en quoi ces façons de regarder et de voir diffèrent ?

 Au cours des trois dernières années, nous avons formé ou sensibilisé plus 600 managers à la compétence « observer ». Il est étonnant de constater à quel point, nous, humains d’occident, avons « perdu » cette faculté. Pourquoi ?

Parce que l’on confond voir, regarder et observer. Voir, vient du grec idein (voir et avoir vu), il découle de l’infinitif aoriste horân (idée). Voir par les « yeux de l’esprit », ou encore « le troisième œil », « l’œil de l’âme » précise Descartes.

Aristote, dont la pensée imbibe largement les modèles managériaux de l’entreprise, a posé le sens de la vue comme « le meilleur des sens », car dit-il :

« Il nous fait connaître beaucoup de choses distinctement, ainsi la fécondité est-elle la meilleure qualité de l’intellect, car elle apporte la découverte de nouvelles vérités[2] » . Certes, on « voit » les choses, mais pour les comprendre, pour les « analyser » : « je vois ce que vous dites ».

Pour un occidental, la vue est féconde, non par ce qu’elle rend disponible ce qui est autour de nous, au-delà de nous, mais par les vérités qu’elle nous apporte. Là où la notion de fécondité, côté chinois, signifie la compossibilité, c’est-à-dire l’ensemble des possibles qu’offrent une configuration. Le potentiel participe à offrir de la fécondité.

L’étude des trois lointains[3] (san yuan, 三远; plan, profond, haut) fut particulièrement ressourçant. Ces lointains impliquent que le regard, à l’instar de celui des grecs, ne s’égare pas dans les « idées », mais scrute, regarde, observe, s’attarde, discerne, ce qu’au loin, de près (au plan), de haut, de profond, les choses s’amorcent, se déploient, puis, ou non s’actualisent. Là où nous, nous allons « analyser le problème », « voir ce que les experts en disent », « poser les arguments ».

Les trois lointains sont les bases de l’observation. En effet, observer signifie le déplacement du regard dans l’espace et le temps. Le regard suit l’évolution d’une chose, tel un bourgeon devenant fleur, puis amorce d’un fruit et ce, jusqu’à sa taille et sa couleur effective. J’observe quand mon regard ne met aucune idée entre la chose suivie et mon regard. L’observation est donc processive. Et cette qualité n’est pas favorisée dans le pays de l’analyse et de la réactivité à outrance.

Regarder, quant à lui, est local. Regarder de devant, de dessus, de dessous, de côté, de haut, de biais, etc. Regarder implique un déplacement. C’est ce déplacement qui participe à faire expérimenter aux personnes la nuance entre « avoir un point de vue », et « tenir une vue du point ». Les managers sont entraînés à observer, à regarder et à moins « voir ».

Il faut nous rappeler que notre langue et son histoire, sont structurées pour « abstraire », terme qui signifie séparer :

« L’abstraction est une opération de l’esprit, par laquelle nous ne considérons, dans un objet, qu’un des attributs, sans faire attention aux autres propriétés qu’il renferme »

peut-on lire dans le Dictionnaire philosophique de 1762.

Côté chinois, le lointain profond (shenyuan) implique cette idée de profondeur où se superposent des couches de montagnes, de forêts, de nuages, etc. Le surfer scrute au lointain profond cette ligne sombre, la houle, qui pour l’instant s’amalgame avec l’horizon. Il scrute du regard pour percer derrière (kui). Il faut donc se placer devant pour percevoir au loin ce qui s’amorce. Le processus est similaire pour le lointain plan et le lointain haut, mais avec les formes de regard appropriées.

Les managers formés expriment souvent leur frustration, jusqu’à manifester parfois de l’agacement face à cette compétence de l’observation qu’ils considéraient comme « acquise ».

Dans les faits, loin d’en avoir la compétence, ils superposent à celle-ci cette vue que le système occidental valorise, celle qui rend les gens « brillants », sans pour autant « éclairer » et c’est dommage, car l’observation est ce par quoi il est possible d’éclairer l’esprit d’autrui. Ils redécouvrent la simplicité de cette faculté sensorielle, puis par extension découvrent l’extraordinaire ressource pour leur quotidien : recrutement, évaluation, décision, détection des talents, etc.

 4. La détection des potentiels

En quoi l’approche occidentale est-elle si différente. Toute réflexion stratégique intègre l’observation des menaces et des opportunités. Ne met-elle pas alors en œuvre cette exigence d’observation des potentiels favorables ou défavorables pour l’entreprise ?

Merci beaucoup de cette formulation « menace et opportunité », héritage, entre autre, du modèle de décision S.W.O.T. Il est lui aussi ennuyeux, car, il conduit à faire de l’analyse (analusis) alors qu’il convient de se déplacer dans la « vraie vie » pour regarder autant qu’observer ce qui se déploie. Que l’on parle de menace en situation réelle, parce-qu’il y a des personnes dont l’intention est de détruire physiquement des biens et/ou des personnes, est ici entendable. Mais peut-on parler de menace dans l’entreprise ? La concurrence est-elle une menace ? puisque le mot signifie : qui a prétention d’égalité. 

Votre expression « réflexion stratégique », montre aussi l’habitude de pensée. Il n’y a pas de réflexion stratégique, il y a un opératoire stratégique que la pensée traduit en expériences plausibles, puis en décisions. On réfléchit à un problème (problema), car la réflexion procède d’un décorticage pour lequel, l’analyse peut être mobilisée (ou pas).

En stratégie, le cours des choses n’attend personne, vous l’épousez, ou il vous submerge. L’histoire récente l’illustre.

Pourtant, les grecs maitrisaient cette compétence tressée de qualité : l’observation. J’en ai fait l’étude approfondie en découvrant les nombreuses nuances dont voici quelques exemples :

  • enkukleîn, encercle le « problème » (vivant, situationnel), observe sans être vu,
  • kraipnóteros, esprit prompt aux situations,
  • pantopóros, élabore/tresse un chemin de ressources,
  • ithunein, dirige, redresse, mène droit (par prévision et regard fixé sur résultat),
  • eustochia, la sûreté du coup d’œil
  • oxú, regard aigu, la vue perçante

Plus les organisations sont grosses, politiques et hiérarchisées, plus la compétence d’observation tend à disparaître. Face à l’évidence, la stupéfaction des « élites » se voit souvent mise devant le fait accompli : l’analyse est mise en défaite.   Les grecs ont d’ailleurs un mot pour l’exprimer : ápatā : laisser l’autre éberlué face à la défaite. En stratégie, sans observation, l’analyse est vouée à la défaite.

L’usage et le recours à une sémantique guerrière en entreprise est inappropriée. Il faut bien comprendre que le mot menace implique un risque vital engagé pour la vie d’autrui ou pour un existant. Perdre des parts de marché ne peut être élevé au rang de « menace », c’est le jeu.

L’opératoire stratégique, certes vient, d’un usage de la guerre, mais, cet opératoire stratégique, pour lequel l’observation est par principe associé peut avoir d’autres usages, dès lors qu’il concerne le flux tendanciel des « choses ».

Enfin, gardons à l’esprit que les mots favorables et défavorables signifient ce qui tend vers le résultat escompté ou ce qui s’en écarte, conduisant à des conséquences non souhaitées.

 Quelles limites voyez-vous, dans ce domaine, à l’approche occidentale ?

  Qui voit trop, est aveugle aux signes et aux corrélations qui en découlent.

Nous, occidentaux, possédons un instrument de pensée extraordinaire. Mais, nous avons considérablement perdu en maitrise de notre langue, des nuances des termes et de leur usage correct et exact. Certes, nous excellons en grammaire et en orthographe, mais si les mots sont mal utilisés, à quoi cela sert-il ?

Nous faisons du bruit avec nos bouches et pensons en apesanteur. Les mots ne touchent plus terre, car nombre d’entre eux ont été détourné de leur sens et de leur usage initial. Il n’y a plus de sens, car le sens a été oublié, perdu au profit de termes multi-usages : analyse, talent, compétence, intelligence, objectif, stratégie, sont des mots de ce type.

La « guerre » des idées, obstruent le regard sur le monde. Voici, me semble-t-il où se situe la limite. Le mot stratégie s’amorce par le son « str », qui implique un tremblement dans l’espace. L’opératoire stratégique, identifie ce qui commence à vibrer, à trembler dans le cours des choses, même de manière infime.

5. La promesse du potentiel

De quelle promesse un potentiel est-il porteur ?

  L’observation permet d’être en éveil sur des évolutions en cours d’apparition. Un potentiel ne fait aucune promesse, ce n’est pas une personne, mais une puissance en acte.

Comment détecter le potentiel dont ces évolutions sont grosses et la promesse qu’elles portent ? Comment détecter et valoriser ces potentiels ? Quels sont les signes annonciateurs de ces potentiels ? De quelle nature peuvent-ils être ?

Le potentiel se détecte s’il y a quelqu’un pour observer le monde, une configuration, le cours des choses. Pour que le potentiel soit détectable par observation, il convient qu’il puisse y avoir un usage, un résultat escompté, une utilité à celui-ci. Le vent est un potentiel continu pour le navigateur, mais aussi pour les « fabricants » d’électricité (éolienne).

Une personne peut être le potentiel d’une autre, parce qu’elle peut répondre à une utilité, même temporaire. Le terme potentiel est indissociable de configuration et d’utilité. Trouver l’utilité (l’avantage pratique) et vous pourrez détecter le ou les potentiels.

Comment et sur quelle base choisir les potentiels auxquels on décidera de se consacrer pour accompagner leur actualisation ?

Votre question est vraiment intéressante, car elle pose l’hypothèse du choix. Le potentiel, comme je l’ai dit est une puissance en mouvement (une somme de forces, une disposition favorable). Dès lors que le résultat est explicité et signifié, dès lors que l’utilité est clarifiée, les potentiels sont « épousés » pour les orienter à notre avantage. Le potentiel n’est pas un objet (objectum), ce n’est pas une chose, mais plutôt le possible et l’advenir à actualiser. Il faut un esprit en capacité de produire une expérience de pensée pratique pour conduire le potentiel vers son actualisation.

Enfin, le potentiel ne nous attend pas. Ce n’est pas nous qui l’accompagnons. Le surfer épouse la vague. Celle-ci déferlera avec ou sans lui. La vague est indifférente au surfer, elle ne lui parle pas. On épouse donc le potentiel, on ne l’accompagne pas, comme l’on accompagne un enfant à l’école.

 Les potentiels humains

 En abordant la notion de « potentiel humain », je vous cite : « L’Homme n’a ni tout en lui, ni « de » potentiel à proprement parler, mais il possède ou peut développer les habiletés, les compétences pour traduire les « forces » du réel à son avantage. Cette notion est importante, voire fondamentale, car c’est ici que réside l’écart le plus important avec les « classiques ». 

Vous insistez dans vos travaux sur le fait que l’on n’a pas un potentiel, et que l’on n’est pas un talent. Qu’entendez-vous par là ?

 J’ai, d’une certaine manière, répondue en amont à cette question. Le potentiel n’est pas quelque chose que l’on a en soi. C’est une vue de l’esprit, un héritage désuet des temps classiques. Cette idée pourtant ancrée, par principe subjectif, conduit à tous les extrêmes en termes de jugement, de mesure de « ça ». Nous avons (trop) peu évolué sur ce point. Nous continuons à perpétuer des idées issues de la religion, du mystique, et des idées.

 

 « TalentReveal », l’entreprise que vous présidez, travaille à la mise en valeur des potentiels et talents humains.

 En quoi, les travaux de votre thèse ont-ils influé sur la façon de TalentReveal d’aborder et de pratiquer son activité. Quelle différence entre le avant et le après de votre thèse ? En quoi l’approche de TalentReveal se particularise-t-elle d’approches traditionnelles d’intervenant dans ce domaine ?

Deux temps dans ma réponse.

Le premier répond à votre propos « travaille à la mise en valeur des potentiels et talents humains. »

Nous cherchons avant tout, non à mettre en avant les potentiels et talents humains, puisque comme je l’ai dit, ce sont des vues de l’esprit. Nous œuvrons avec nos clients à l’objectivation des talents et au développement de nouvelles formes de compétences utiles pour détecter les potentiels. C’est une nuance de fond.

Les personnes n’ont pas de talent, elles en produisent. Ce simple écart de pensé, nous a conduit à collaborer avec Pôle Emploi pendant presque trois ans. Nous avons transféré les connaissances et entraîné les compétences de centaines de managers dans « la détection des talents ». Nous avons en parallèle formé près d’une trentaine de professionnels à cette méthode, pour un déploiement au niveau national. Les résultats sont « immédiats » (sous quinze jours), et c’est normal, puisqu’ils reprennent la main sur leur compétence d’observation, de description etc.

Le second temps : ce que ce travail a changé ? Tout.

D’abord, la capacité de ne pas se laisser abuser par l’usage inapproprié des mots. Puis, la compétence de pouvoir utiliser et produire de la méthode et de la compétence utiles et appropriés aux situations, enfin, la possibilité d’offrir à nos clients une richesse, une nuance et un éventail de connaissances pratiques et souvent oubliés au cours du siècle passé.

Nous ressourçons le possible de nos clients. En cela, nous sommes leur potentiel.


Si c’est « qui opère en stratège » qui est capable d’identifier un potentiel utilisable pour sa stratégie, comment la personne porteuse d’un potentiel peut-elle elle-même identifier son potentiel?

 C’est ici, l’approche classique. La personne n’a pas besoin d’identifier son potentiel, puisque par principe, elle « est » le potentiel de l’autre, du projet, de la situation. La confusion et l’amalgame entre potentiel et intelligence a conduit à croire que le potentiel est un « quoi » que l’on peut connaître et mesurer. C’est une erreur. Le vent n’a pas à se demander s’il est un potentiel. Le vent se déploie, souffle, pousse, c’est à l’autre d’en tirer l’avantage, pas au vent de « se penser ».

 Les potentiels au-delà des potentiels humains.

Cette notion de potentiel s’applique au-delà des potentiels humains à tous types de potentiels quelle qu’en soit la nature.
Vous mettez en œuvre cette notion dans vos accompagnements d’entreprises.

En se limitant ici, à la dimension détection du(des) potentiel(s)  (nous verrons dans votre troisième interview la dimension « actualisation »), pouvez-vous nous donnez une illustration de son application au domaine de l’entreprise au-delà du domaine des ressources humaines ?

Le modèle économique « classique » arrive à sa conclusion ; certes à l’échelle de notre culture, elle va continuer encore quelques décennies, mais le modèle est désormais « obsolète ». Le potentiel, on peut l’observer, est la réintégration de l’humain avec la nature. L’Être a fait son temps, et avec lui, ses réussites et ses destructions. L’Humain est un potentiel pour le vivant et réciproquement. C’est de là que nous devons observer les potentiels. D’ailleurs, Adam Smith, j’y reviendrais, l’avait bien noté. Mais, mal traduit, on lui a fait dire ce que pourtant, il n’a jamais dit ni pensé.

La perma-économie autant que la perma-humanité sont les potentiels déjà observables, ce sont eux qu’il convient, me semble-t-il, d’épouser. L’ancien monde ayant épuisé sa ressource.

 

Un grand merci à vous pour ce partage. Nous vous retrouverons début septembre pour la suite de la troisième partie de cet entretien. Nous aborderons alors en quoi et comment « actualiser » ces potentiels.

 

[1] JULLIEN F., L’écart et l’entre. Leçon inaugurale de la Chaire sur l’altérité, Editions Galilée, 2012

[2] Aristote, Métaphysique, Livre A. 1 [980a 21], trad., Duminil, Jaulin, 2008.

[3] Les trois lointains sont proposés par le peintre-lettré Guo Xi, grand peintre d’origine des Song du Nord et grand maître paysagiste (1023-1085).

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