Consultant : la question qui fâche !

Il y a à lieu de s’interroger sur le terme même de « Consultant ». Il convient de s’y intéresser non par pure gourmandise lexicale et/ou grammaticale mais bien par l’ouverture que cette interrogation offre sur la pratique même du conseil.  Une ouverture qui questionne le dialogue entre le consultant et son client et qui offre autant de pistes pour enrichir ce dialogue et accroitre encore la valeur de l’intervention. Une ouverture qui conduit à définir précisément, en s’attachant à la signification des mots, ce qu’est ou devrait être un consultant.

« Consultant » et « Consultation » ou « Qui consulte qui ? »

Le terme de « Consultant » questionne. La forme quasi gérondive rendue par la terminaison en « ant » interpelle.

Cette interpellation m’est venue il y a maintenant bien longtemps. A l’époque tout jeune consultant, quelle ne fut pas ma surprise, alors que j’avais, à titre personnel, un rendez-vous à l’hôpital. Alors que je m’y rendais en voiture, je m’y garais sur une place marquée « Consultant ». Je m’y garais non en tant que «consultant » mais en tant que … « consultant », du moins le croyais-je étant venu justement consulter dans cet hôpital.

Grammaticalement, et en poussant plus avant cette interrogation, nous pouvons nous étonner que « Consultant » ne s’écrive pas « Consultent » comme cela est le cas d’un « Président » … qui présidant une réunion est qualifié de  «présidant ».

Lexicalement, et pour tenter de nous y retrouver, il convient de s’intéresser à la notion de « Consultation ».

Or le terme “consultation” renvoie à l’idée de solliciter des avis, des conseils ou des informations auprès d’experts ou de pairs et indique clairement et précisément que, dans le cadre d’une consultation, le consultant est … consulté et donc non … consultant.  On sollicite une consultation et l’on donne une consultation.

Manque de chance, voilà qui ne me dit toujours pas où je dois garer ma voiture sur le parking de l‘hôpital !

La consultation est le terrain à l’interface entre le consultant « consulteur » (le client qui pose sa question) et le consultant « consulté » qui a vocation à y répondre.

La double dimension de la consultation : un savoir élaboré et une décision délibérée 

Deux dimensions sont à prendre en compte dans le cadre d’une véritable consultation : 1. Le savoir élaboré  par le dialogue nourri au cours de la consultation et 2. La délibération, la co-élaboration de la solution décidée.

A nouveau l’étymologie vient à notre secours. Consultation trouve son origine dans le mot latin « Consultatio » dont le double sens est … plein de sens : 1) question posée à quelqu’un et 2) action de délibérer, processus de réflexion et de prise de décision.

Un savoir élaboré

Le consultant, au sens propre du terme, n’est pas un vendeur de solutions toutes faites disponibles sur étagère. Dès lors, les solutions qu’il pourra proposer nécessitent-elles une analyse préalable de la situation permettant sa compréhension partagée avec le client pour qu’ensemble, ils élaborent et conviennent des solutions à y apporter.

D’ailleurs, s’il est honnête, même le vendeur de solutions sur étagère devra(it) s’assurer que la situation du client correspond à la situation très spécifique pour laquelle sa solution toute faite convient.

Aussi, le consultant (dans son sens grammatical que nous privilégions) n’est pas le fournisseur d’une expertise de solution et d’un savoir préexistant qu’il délivrera au client. Sa valeur apportée est dans l’élaboration d’un savoir décrivant, comprenant et expliquant la réalité de la situation du client et du problème auquel le client se dit confronté et dans les évolutions qui peuvent être envisagées pour y faire face et agir.

Une décision délibérée

Si la décision revient et doit revenir toujours au client, une consultation est bien (ou doit être), par l’interaction nécessaire entre le client et le consultant, une délibération. Elle sera d’autant plus à valeur ajoutée qu’elle fournira les modalités nécessaires à une prise de décision pertinente et efficace en adoptant pour cela le processus optimal de décision.

Et c’est là que le terme de « consultant » dans sa dimension « gérondive » de « en train de » tenant à sa terminaison « ant » trouve tout son sens et toute sa valeur.

La solution s’élabore au cours de la consultation par l’interaction du consultant et de son client dans le respect du préfixe interactif « con » « avec ».

La difficile acceptation de l’interaction de la consultation.

Cette difficulté lexicale a la vocation de pointer le cœur même de la consultation qui est demandée et du dialogue singulier qui s’établit entre « le consultant consulté » et « le consultant consulteur ». J’utilise cette formule à dessein car elle pointe une interrelation essentielle qui existe et doit exister entre le « consulté » et le « consulteur », bref et pour être tout à fait clair et grammaticalement exact, entre le « consultant » et le « consultent ».

Et c’est souvent là que l’un et l’autre peuvent, précisément, avoir du mal à s’entendre.

La tension monte rapidement entre le client impatient d’avoir la solution du consultant et le temps perdu, selon lui, par le consultant qui cherche par ses questions à comprendre la situation et à investiguer le problème.

J’ai ainsi du, lors d’une réunion tendue avec un comité de direction d’un client, à devoir interpeller le dirigeant qui s’impatientait de mes questions et lui demander : « Vous feriez confiance à un médecin qui ne vous poserait pas de question alors que vous le consultez ? »

Toute consultation nécessite une investigation.

Consulté sur un problème rencontré par son client le consultant  se doit de questionner la réalité du client pour la comprendre et poser un diagnostic et élaborer les pistes de solution.

Dans le même temps, le prospect ou le client n’a qu’une hâte, celle de voir son problème résolu par la solution qu’il achète au consultant. S’il a fait appel à lui c’est pour son expertise. Ce qu’il achète c’est une solution qu’il souhaite obtenir le plus rapidement possible.

Aussi, bien souvent, ce client refuse-t-il toute dépense de temps et d’énergie qu’il estime perdue à l’investigation du problème que tout consultant non charlatan et non faiseur de pluie ne manquera pas de lui proposer.

La réalité du problème : le problème est le problème

Le savoir à élaborer s’attachera, avant tout, à la compréhension du problème tant il est vrai que pour reprendre la formule de Michel Crozier reprise par le regretté François Dupuy récemment disparu : « Le problème est le problème ». Et si la question posée n’était pas la question qui se pose ?

Voilà bien une question qui peut fâcher. Une question qui est propre à entretenir la haine d’un client à l’endroit de ces consultants qui n’arrêtent pas de poser des questions au lieu de répondre directement à la question qu’il lui pose.

Non contents de lui faire perdre du temps par leurs questions, ces consultants en arrivent alors à lui suggérer que la question posée n’est pas la bonne !!! Vade retro !!!

Ce dilemme est à prendre en compte par le consultant … et par le client.

Loin de s’en gausser, de la regretter et de s’en attrister, le consultant (le vrai) aura à cœur de tenir compte de cette réaction de son client. N’est-elle finalement pas naturelle de la part d’un entrepreneur ou d’un dirigeant qui doit souvent réagir rapidement sous la sollicitation de son environnement et dont la raison d’être est dans l’action, dans une action qui ne saurait attendre.

Le client, quant à lui, à moins qu’il ne soit, selon la belle formule d’Ibrahima Fall, « un enjambeur du réel » comprendra que la compréhension réelle de la réalité de sa situation est indispensable à la pertinence des évolutions nécessaires à la réussite de son entreprise.

Il aura à cœur de s’assurer que le consultant qu’il contacte est dans cette recherche de sa réalité et non dans la suffisance de recettes tout terrain et soit disant universelles. C’est dans l’échange préalable avec ce consultant qu’il s’en assurera en mesurant l’humilité et la pertinence des questions de ce consultant dans son approche du problème.

Le respect mutuel entre le client et son consultant résultera de cet ajustement entre leurs attentes réciproques. Le client, comprenant tout le profit qu’il en retirera, s’investira dans les réponses qu’il apportera aux questions du consultant. Le consultant, conscient de la réticence naturelle de son client  s’efforcera à débusquer les facettes de la réalité de la situation du client non encore explorées par celui-ci.

Les questions créatrices de valeur pour le client.

Aussi, au-delà d’une nécessaire prise en compte du contexte du client et de ses spécificités, le consultant s’attachera à questionner le client et sa réalité en se focalisant sur les angles morts de la réflexion de ce dernier. Le savoir élaboré résultera en grande partie des réponses du client aux questions qu’il ne s’est justement pas posées jusqu’ici.

La réponse du client aux questions portant sur ces angles morts et leur mise en cohérence avec les composantes qu’il prenait en compte jusque-là feront toute la valeur du savoir ainsi élaboré. Un savoir  indispensable au cœur de la délibération qui mènera à la décision quant 1) au problème à résoudre et 2) aux pistes de solutions à retenir.

Aussi le tout premier travail du consultant sera, avec profit pour son client, d’identifier les angles morts de la réflexion de ce dernier, les domaines non abordés par lui, domaines qu’il aura ignorés soit par pure ignorance soit par erreur d’analyse.

Mais alors gare, pour le consultant, à la fatuité du donneur de leçon. Le but du consultant n’est pas de confronter le client à son erreur et/ou à son ignorance mais bien de l’amener à considérer et à voir sa situation et sa réalité dans une vision « dévoilée », plus globale et pertinente.

« Vous voulez que je vous dise l’heure qu’il est ?« 

Le consultant n’est, finalement, pas très loin de s’exposer à la plaisanterie bien connue. Elle définit le consultant comme quelqu’un à qui vous demandez l’heure et qui, pour vous répondre, vous emprunte votre montre.

Mais, en tant que consultant, et pour que cette plaisanterie n’en soit pas une, il convient de la compléter par cette question : «  Je vous le dirai avec plaisir mais permettez moi de vous poser une question : pourquoi me demandez vous l’heure alors que vous avez une montre ? »

 

 

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