10/09/2021 – 3 ème interview exclusive d’Yves Richez

 

Yves Richez est Docteur en sémiologie, président et référent scientifique de TalentReveal, société spécialisée dans la détection, l’évaluation, le développement des aptitudes naturelles humaines.

Il a consacré sa thèse de doctorat « Stratégie d’actualisation des potentiels. Entre la métis grecque et le che chinois », soutenue en 2016  à l’Université Paris Diderot,  à l’histoire et à la pratique occidentales et chinoises de la stratégie.

a à cœur de diffuser, au travers de ces trois interviews exclusives, les idées et messages clés de cette thèse qui vont à l’opposé de nombre des façons occidentales de penser et donc d’agir.

Cette troisième interview est consacrée à l’actualisation des potentiels. Yves Richez nous y offre, dans un long et passionnant développement, l’accès à une façon d’accompagner et de permettre l’actualisation des potentiels que « qui opère en stratège » a su détecter et observer avant même qu’il se révèle. 

Un long et nécessaire développement pour nous transmettre toute la sage puissance de l’art de « ne rien faire mais de sorte que rien ne soit pas fait ».

 

Efficacité et Efficience

  1.  Présentation de la thèse 
  2. Les approches occidentale et chinoise et leurs différences
  3. Les origines de ces différences
  4. Efficacité et Efficience
    • au cœur de la différence des 2 approches.
    • leur prolongement sur la notion de performance
    • leur impact sur la raison d’être d’une entreprise.

Les potentiels et leur détection

1. Les potentiels
2. 
L’« Etre » (Occident) et l’« Ecart » (Chine)
3. 
Les trois lointains
4. La détection des potentiels
5. 
De quelle promesse le potentiel est-il porteur ?

 

L’actualisation des potentiels

1. L’actualisation des potentiels
2. Le procès

3. L’agir et non agir – Ne rien faire, mais de sorte que rien ne soit pas fait.
4. La métaphore du surfer
5. Une remise en cause des plans d’action
6. La Mètis
7. Son apprentissage
8.
 En quoi certaines approches et pratiques occidentales peuvent-elles être    contreproductives
9. L’accueil de ces notions
10. Leur diffusion.

(Note : les mises en caractères gras sont le fait de RéSolutions)

 

1. L’actualisation des potentiels

: Pouvez-vous définir ce que vous entendez par cette notion d’actualisation ? Pourquoi le choix de ce mot, plutôt que celui de « révélation » ou de « développement » traditionnellement utilisés lorsque que l’on parle de potentiel ?

 Le terme révélation vient du latin rĕvēlātĭo, action de découvrir, laisser voir. Mais on le retrouve aussi dans le latin impérial revelare, dévoiler, découvrir, en particulier chez les auteurs chrétiens (psautiers) chez qui, le terme implique une action divine qui offre à l’homme la possibilité de se manifester, donc d’être « vu ». C’est aussi « faire connaître par une voie surnaturelle (ce qui était ignoré des hommes et inconnaissable par la raison). Ce terme, deviendra au sens général le principe de connaître, de faire savoir une chose inconnue, secrète) (Rey, 2000, T-3, p. 3230, C-1). Le terme révélation ne peut donc être pris ici, car il implique une Force surnaturelle ou quelque chose d’existant mais tenu au secret. Quant au terme développement, il vient de l’ancien français desvelopemens qui signifie à l’origine « action de dérouler, de déplier ce qui enveloppé sur soi-même ». Il sera adopté par les disciplines de la géométrie et de l’architecture (1694). Dans le domaine du cyclisme (1886), il signifie la distance parcourue en un tour d’une roue. La photographie s’en empare au 18ème siècle pour lui donner une valeur temporelle, celle d’exposer un sujet en détail (Rey, T-1, p. 1065, C-2).

Le terme figure à la fin du XXème siècle une personne pouvant « déplier » ce qu’elle « a » en elle, ce qu’elle peut rendre visible et accessible, un peu comme lorsque l’on tire une photo d’une pellicule pour la rendre visible, par transfert, sur du papier.

Or le terme actualisation, de par son préfixe ac- ayant pour origine ad-, implique un mouvement spatial et temporel indépendant de toute action humaine. Le mot actualisation signifie ce qui devient visible, effectif par processivité, et disponible par l’intrication de forces convergentes ; ce que l’on retrouve dans le monde du vivant avec la notion d’optimum écologique utile et nécessaire pour qu’une plante puisse se déployer. L’actualisation ne peut donc être pensée comme similaire ou synonyme de révélation ou développement pour cette raison.

Associer le mot développement ou révélation à celui de potentiel est un abus de langage motivé et alimenté par la « psychologie populaire ». Ces mots n’ont ni filiation (corrélation), ni concordance (accord) ; ils n’appartiennent pas à la même famille catégorielle. C’est pourquoi, je ne les ai pas utilisés dans mes travaux sur les stratégies d’actualisation des potentiels.

 2. Le procès

: Vous insistez sur l’importance du « procès » dans la pensée chinoise. Ce procès va porter l’action dans l’approche chinoise et vous évoquez comme capacité essentielle pour « qui opère en stratège » celle d’ « épouser le procès en s’y ajustant et-tout en l’accompagnant, s’y conformer »

Qu’est-ce que ce procès ?

 Ce que la pensée chinoise signifie par « Procès » pourrait être appréhender par « le cours des choses », « la continuité en cours, ce qui opère indifféremment de toute influence externe », en particulier celle de l’homme. Elle est alimentée par un continuum de flux (soleil, lune, marée, forêts, océan, montagne, villes, déforestation, plaines, volcans, humains, etc.)

Les marées s’inscrivent dans un Procès. Les saisons (printemps, été, automne, hivers) opèrent selon un Procès. Le Procès n’est pas une chose, ce n’est pas un « qu’est-ce que c’est que cela », mais ce qui échappe à l’analyse et à la logique que recherche notre esprit occidental (logos, analusis, mathesis, logismos). Le Procès désigne ce par et dans lequel de l’activité se produit, se rend observable et perceptible. Le Procès n’est pas donc un mot que l’on enferme sur lui avec une signification réductrice ; il conceptualise autant qu’il figure le tressage, le maillage, la densification d’une somme de forces produisant un flux. Ce flux donnera à voir du « quelque chose » soit localement, soit globalement.

Le potentiel et le Procès participent à l’actualisation d’un résultat (resultare, ce qui arrive en conséquence), avec ou sans l’humain. C’est pourquoi le propre d’un Procès est d’être immanent et de produire un capital-ressource inépuisable. Le Procès est indissociable du moment (de la processivité du temps) et de la position (de la spatialité). On ne vit pas la COVID a Paris, comme on la vit dans la région des Grands Causses. Et pourtant, le Procès se poursuit, indifféremment à ces deux lieux. C’est pourquoi le Procès ne dévie pas, s’auto-régule, et vitalise. Au niveau local, la perma-culture l’illustre simplement, pourquoi ? Parce que l’on tire avantage de l’optimum écologique du lieu, tout en s’appuyant sur les potentiels et la configuration du lieu.

 3. Le agir et non agir – Ne rien faire mais de sorte que rien ne soit pas fait

: Vous insistez sur les « limites » de l’« agir » efficace » propre à la seule « puissance » de l’être et vous insistez sur cette notion de « ne rien faire de sorte que rien ne soit pas fait ». C’est une notion qu’il convient d’expliquer tant elle paraît éloignée de nos approches traditionnelles. J’imagine que vous ne prônez pas, par-là, la passivité et la non-action.

Pouvez-vous en préciser le sens et toute l’importance, car à vous lire, cette notion est au cœur de l’actualisation des potentiels et elle est en lien avec le procès ?

Il conviendra en tout premier de repositionner l’orthographe puis le sens chinois de cette notion. En effet, non-agir implique un trait d’union, car l’un n’est pas séparé de l’autre. Il n’y a pas d’un côté « non » et de l’autre « agir ». Ce qui supposerait une passivité de l’être sur les choses ; ce que la psychologie classique nomme « lâcher prise ». Il n’y a pas non plus de passivité : « ne rien faire ».

Le non-agir signifie dans la pensée et l’opératoire chinois : faire et ne plus faire, mais de sorte que rien ne soit pas fait (wuwey er wu bu wei, 無為).

La particule er, clé ici, n’a pas son équivalent dans notre culture. Elle implique l’idée de pivot d’une réalité en devenir. Ce pivot est à la fois adversatif et consécutif. Il y a interaction des deux aspects, l’un au regard de l’autre mais aussi l’un advenant par l’autre (passage de l’un à l’autre). Enfin, il y a l’expression d’un rapport actif de corrélation en même temps que d’opposition (non-exclusion), ex : « J’arrose la plante selon ses principes et cela étant fait, je ne l’arrose plus lui laissant la pleine capacité de se déployer ; pourtant, rien n’a pas été fait ».

Cette notion quasi inconnue chez nous et amalgamée avec « lâcher prise » implique le principe qu’il y a de la capacité à l’œuvre (effect) à l’écart de la nôtre (efficacité) :

« Agir sans agir directement : je n’agis pas (en fonction d’un plan arrêté, de façon ponctuelle, en forçant les choses), mais pourtant je ne suis pas, non plus, non agissant – je ne demeure pas inactif – puisque j’accompagne le réel durant tout son développement » (Jullien 1996, p .115).

« Un chef d’armée qualifié demande la victoire à la situation et non à ses subordonnés » (Sun Tsu, 5, 21).

Il convient d’amorcer l’activité, c’est pourquoi l’on fait, puis, il convient de laisser à ladite activité sa propre capacité de se déployer, c’est pourquoi l’on ne fait plus, mais de sorte que rien n’est pas été fait. Par opposition occidentale, où l’on fait et l’on fait encore, dès fois que rien n’ait pas été assez fait ; ceci conduit à l’insistance puis au burn-out. L’image figurée, pouvant illustrer cette notion est la plante : une fois la plante arrosée, on tire dessus pour la faire pousser plus vite…

4. La métaphore du surfer

: Vous utilisez une métaphore qui aidera les lecteurs, comme elle m’a aidé en lisant votre thèse, à illustrer ces notions de potentiels, de procès, d’agir et de non agir.

 Pouvez-vous nous rappeler cette métaphore ?

En effet, dans ma thèse j’ai illustré le non-agir par l’exemple du surf. Car, n’est-ce pas ce que le surfer[1] cherche à « saisir » en scrutant au loin (lointain profond, shenyuan) cette ligne sombre qui dans cet amont non déterminé, amorce avec discrétion ce qui porte la potentialité d’une vague surfable ; une onde qui, de proche en proche, amorce son actualisation jusqu’à ce que les bas-fonds entraînent une nouvelle forme : active et effective (opposition-corrélation).

Au loin la vague est sans forme et pourtant dans cet apparent immobile et fixe, rien ne se passe pas. Elle s’amorce en un essor, prête à s’actualiser : son essor est inévitable. Le surfer ne peut rien « y » faire. Il ne peut agir « dessus », ni la forcer ou la diriger selon sa volonté. Il ne peut que s’approcher au niveau le plus proche de son actualisation, ce moment-position duquel, aspiré par le mouvement ou pourrais-je dire, la propension, il n’a plus qu’à amorcer-impulser le non-agir nécessaire.

Puis, sans effort mais de sorte que rien n’ait pas été fait, il n’a plus à « faire ». Le surfer peut alors « glisser-pomper », profitant de la pleine effectivité de l’onde, du creux dans lequel il s’appuie, il surfe sans forcer, sans ajouter à la vague et pourtant, rien n’est plus à faire.

Arrivé à son niveau le plus crucial – le déclin – il doit en sortir afin de ne pas se laisser « enfermer » par la vague devenue mousse bouillonnante.

S’il a attendu (trop) longtemps, c’est-à-dire s’il n’a pas assez fait (amorcé) à l’amont, la forme-actualisation lui « passe dessous » et déferle plus loin, s’il a fait (de) trop, il est déjà (trop) en aval et la forme actualisée « l’éjecte » comme un fétu de paille : amorcer ce qui s’en vient – se positionner dans le moment-position – agir et ne plus faire mais de sorte que rien n’ait été fait afin que le mouvement (le surfer sur sa planche) s’actualise dans la forme-actualisée (la vague).

Le non-agir se pense par corrélation et concordance avec le dispositif, qui lui-même indique une inclinaison, une tendance en cours. Il n’y a (donc) pas à forcer, à créer de toute pièce « quelque chose » de plus, mais au contraire de prendre appui, pomper[2] en fonction d’un terrain (incliné) afin de prendre de la vitesse sans se fatiguer, sans avoir à pédaler ou pousser de son pied le sol avec force.

5. Une remise en cause des plans d’actions

: Ce « ne rien faire mais de sorte que tout ne soit pas fait » est-il compatible avec une démarche d’action et de transformation qui est le propre de l’entreprise que nous connaissons et telle que nous la pratiquons? Ne remet-il pas en cause toute notion de plan d’action et de plan de transformation ?

L’entreprise parle de transformation, mais la majorité du temps, elle souhaite au mieux une innovation. Les vrais transformations (trans, forma), impliquent une forme au-delà et à travers l’existant. Ce n’est pas le cas, ou rarement. Quand bien même la transformation serait sincèrement souhaitée, cela implique une temporalité naturelle que l’on ne peut forcer – d’où le non-agir -. Toutes organisation forçant le court des choses est condamnée à la défaite. Et ce qu’elle considérera comme « réussite », l’aura été au détriment de pertes. La réussite sera artificielle. Le plan d’action ne peut l’être que sur une courte distance, dans un environnement restreint et pour un résultat ayant une faible marge en termes de variables. Le plan d’action rassure, car il est séquentiel et n’implique de facteurs X (l’imprévu). Le plan d’action vaut s’il y a des projets pour lesquels il y a des Vérités pré-existantes. Si non, le plan d’action sert à rassurer. Le mot stratégie est alors son en-face, déployer une stratégie, c’est épouser le cours des choses en ayant, non pas projeter sur le réel mes analyses, mais anticiper les flux et les conséquences à partir des indices et des signes émergents.

6. La Mètis

: Vous consacrez de longs développements à la Mètis. Je vous cite alors que vous la présentez : « Agir (zhi) et connaître (xing) ne font qu’un et renvoient au principe du « savoir comment » (opérant sans trace, pensée en mouvement), plus qu’au « savoir quoi » (pragmatique et moral) »

 Pouvez-vous en dire le sens et toute l’importance ?

La mètis, vaste sujet qui me fascine depuis plus de 15 ans. Cette fascination est animée par la manière dont les Grecs anciens la pratiquait, cette pensée circonstanciée, aux origines du mot « intelligence » qui nous vient avec le latin (intellectus). Car, la mètis est aux sources de l’intelligence, non celle colonisée par l’analusis et la mathésis, mais celle originale (correcte et exacte) que les Hellènes nous ont légué. La mètis des grecs trouve son homologue avec le ling chinois. Le « savoir comment » n’est pas lié à une pensée analytique telle que l’Europe l’a développé, mais une pensée qui se construit à partir du moment et de la position ; la pensée des trois lointains (plan, profond, lointain) a largement contribué à influencer tous les domaines de la pensée chinoise : politique, économique, artistique, stratégique, etc.

La mètis signifie la manière dont la production d’astuces, l’opératoire de la ruse et l’élaboration d’une débrouillardise en capacité d’ingéniosité ajustée aux situations permet de traverser toutes les situations. Et quand je parle de ruse, je parle de cette manière d’actualiser un résultat avec efficience, c’est-à-dire en limitant l’effort à sa stricte nécessité. C’est pourquoi elle fut condamnée de la plus injuste des manières en étant élevée au statut de l’immoralité sociale, subissant le courroux des philosophes antiques qui voyaient en elle, l’incarnation de la fourberie en son plus illustre représentant, Ulysse. Or la ruse n’est pas la fourberie, l’une est opératoire, l’autre est déterminée par l’intention. L’ustensile n’est pas responsable de l’usage qu’on en fait.

Mètis, déesse grecque est la première femme de Zeus. Celui-ci, par ruse, l’avale afin de s’approprier l’ensemble de ses aptitudes de transformation et de ruses multiples.

La mètis, en tant que terme substantivé (à qui l’on donne « matière »), rassemble l’ensemble des aptitudes naturelles en lien avec le réel, les imprévus, les situations impromptues, les configurations escarpées, là où le « plan » ne peut plus fonctionner. En effet, le propre du plan, c’est qu’il est à plat comme le veut le plan géométral « dont les lignes sont développées dans leurs dimensions proportionnelles, abstraction faites de toute perspective ».

C’est pourquoi on associe tant le mot plan au mot tactique, puis le mot tactique à « analyse de la situation » ; ce qui est « plat » dans l’esprit peut être analysé, puisque le plan est connu.

Le plan, tel qu’on le voit en management ou dans ce que j’entends souvent « stratégie » est en fait la métaphore d’objectif telle que « fixée » en 1857. Le plan, où cet objectif (but, finalité) fixée sur le plan, permet la projection, l’ensemble des actions que l’on peut imaginer avec mesure et analyse etc. Or, l’analyse est le concept le plus diamétralement opposé à la Mètis. En effet le principe même de l’analyse est d’abstraire, de séparer, de décomposer, d’énumérer de distinguer et de comparer entre elles les idées partielles contenues dans une idée générale. Il ne peut y avoir d’analyse sans vérité pré-existante. C’est pourquoi les analystes aiment le jeu des échecs, symbole absolu de la maîtrise, puisque fondé sur une vérité (un corpus fermé sur lui-même) ; une multitude de combinaisons qu’il est possible d’analyser, contrairement au jeu de Go. Le jeu des échecs, fondé sur un plan préétabli, où chaque pièce est un axiome à part entière, ne peut avoir aucune place à un imprévu venu de l’extérieur. C’est l’analyse des combinaisons qui fait que le champion d’échec est salué pour son jeu brillant et pour son extraordinaire mémoire de traitement des tactiques variées et complexes.

L’écart fondamental entre l’analyste et le stratège, c’est que le premier à qui l’on demanderait d’élever un édifice[3], briserait les pierres pour y trouver des sels, de l’air, une base terreuse, à partir de laquelle il ferait une analyse en se fondant sur la logique et la mathématique, au lieu de bâtir une maison, une cathédrale. A l’opposé, le stratège, que la mètis anime en tout point, observerait la configuration, le potentiel, et sans analyser la pierre, positionnerait l’ensemble des matériaux de sorte que la Cathédrale s’intègre autant qu’épouse l’environnement. Dans le cadre de ma thèse, j’ai étudié 108 termes et notions (liste non exhaustive) pouvant composer la mètis. Ce n’est pas pour rien si les philosophes grecs, dont Platon et Socrate se sont acharnés à faire disparaitre toute trace de la mètis, et ce, jusqu’à modifié le sens des mots (technique, méthode, etc.) pour remplacer le sens premier par celui des « géomètres ». C’est ici une période historique dont on ne parle pas, et c’est pourtant un coup d’état intellectuel fameux dans l’histoire.

Dans l’extrait suivant issus de ma thèse (p. 561), voici quelques notions issues de la famille Habiletés Opératoires (une des 6 familles d’Habiletés organisées par concordance et corrélation à partir des 108 termes et syntagmes grecs).

 

ithunein dirige, redresse, mène droit (par prévision et regard fixé sur résultat)
aiólē ondoyant (insaisissable par sa faculté à faire ceci alors qu’il dit cela, modifie en temps réel l’agir sans le définir)
mēchanàs haimúlas ensemble des moyens propres à la ruse
koûphos rapide
kérdos voir l’avantage que l’autre ne voit pas en étant à ses côtés (allonger la vue et densifier la mètis)
polúplokon noema intelligence en tentacule
polustrophos imite les êtres vivants les plus divers par l’usage de ses propres membres de manière agile.
polutropos apparence de l’instabilité (souple, se maîtrise) fait mine de se plier pour mieux dominer ≠ ephemeros (l’homme inconsistant) / dans les deux cas mobilité, le premier par agilité (poulpe), le second par peur (caméléon).

Le stratège n’analyse donc pas, il observe, conjecture, apparie, scrute, s’ajuste, change et se rend malléable, sans s’accrocher au plan qu’il ne fixe jamais à son esprit. C’est cela qu’implique l’usage abusif d’agilité.

 

. Cette notion est au cœur de votre thèse et constitue l’opératoire stratégique de « qui opère en stratège ».

L’opératoire stratégique, comme nous le montre la pensée grecque et chinoise, n’est pas analytique. Elle ne cherche pas à implémenter la logique entre l’esprit et le monde. L’opératoire stratégique ne cherche pas à comprendre, ni à être convaincu (cum viscere), il cherche la tendance. Et quand je dis il cherche, ce n’est pas par l’esprit, mais par les sens. C’est ici d’ailleurs que le mot intelligence au sens propre et correct trouve son origine : intellecus [intelligo], sensation, perception, connaissance par les sens. C’est le sens figuré, c’est-à-dire la figuration métaphorique qui a donné lieu à : action de comprendre, connaissance par l’intellect. Cette métaphore a ensuite été élevée au rang audacieux de « science ».

C’est aussi pourquoi la mètis comme modalité fondamentale d’ajustement au cours des choses, à la capacité d’attention, de perspicacité, mais aussi de perspicuité[4], c’est-à-dire la qualité « qui fait que l’esprit voit à travers une pensée, une clarté dans l’entendement » (Littré, 1889, p. 1078, C-2). La perspicuité prolonge la perspicacité (la pénétration d’esprit), terme issu du grec agchínoia, la manière dont le projet s’ancre profondément dans l’esprit, dont il le pénètre et ce, afin de parer aux événements.

Comme il est possible de le constater, dès lors que l’on réalise une étude rigoureuse, le plan est récent (19ème siècle), mais que peut-il face à l’héritage de dizaines de siècles grecs et chinois de pratiques, de pensée pratiques et opératoires, sans jamais s’être abstrait du réel ?

7. L’apprentissage de la Mètis

 : La Mètis se transmet par l’enseignement d’un maître.  Quel enseignement en tirer en matière d’apprentissage et d’enseignement et des modèles qui sont aujourd’hui les nôtres ?

La Mètis ne se transmet pas, mais elle peut s’entraîner en situation. La Mètis signifie autant qu’elle illustre un ensemble d’aptitudes fondamentalement circonstanciées à la réalité, aux configurations, aux situations. Elle opère dans un monde où la géométrie en est encore à ses balbutiements et où la mathesis n’existe pas encore. On ne cherche pas encore à comprendre le monde par rapport à la Vérité, et l’on ne cherche pas encore à s’émanciper des Dieux de l’Olympe. La morale et l’éthique fondées par les futurs penseurs grecs ont moins de poids que la chance (tuchê) et la fortune (fortuna) qu’offrent à leur guise Athena, Poséidon, Zeus, Arès, etc.

Peut-on seulement se projeter dans cet univers ? Supposons.

Le moment de l’histoire antique qui illustre cet enseignement est certainement celui où Athéna alias Mentor guide Télémaque, en quête de son père. Homère, le conteur illustre, fait de Mentor, mais aussi Athéna son alias, le protecteur divin du jeune Télémaque. En effet, la stratégie des rois de l’antiquité en tant que manière d’opérer, est fondamentale dans leur capacité à rester « en place ». Celui que l’on nomme homeros explore l’étendue de la mètis, non comme un principe immoral – que vont combattre Platon et Socrate plusieurs siècles plus tard – mais comme la capacité, puis la somme des habiletés pour manœuvrer lors de traversée (ithunein) des mers, afin de retrouver le royaume perdu. Dans ce voyage amorcé par Télémaque (Télémachos), Mentor (dit le divin) est l’un des rouages stratégiques utile et nécessaire au jeune prince pour naviguer et contourner les pièges posés par les fourbes. Le fourbe, rappelons-le, est celui/celle dont l’intention est de nuire à l’autre par quelque moyen que ce soit.

Mentor, nommé par Ulysse, devient le précepteur de Télémaque. Le précepteur – chargé de l’éducation d’un enfant -, est celui qui enseigne praeceptum). En ce temps, les préceptes classiques d’un prince s’organisent autour de la morale, non celle (idéale) que Platon posera plus tard comme un dogme, mais une morale apprise par le cheminement réalisé par le jeune noble dans un cheminement concret. Ce chemin conduit à l’épreuve pédagogique. Il s’inscrit dans ce qu’un prince doit connaître avant de devenir roi. Mentor prépare Télémaque à être prêt pour tous les temps, tous les lieux (Nations) et toutes les situations. Il devra être roi, guerrier, philosophe, poète et législateur, autant qu’il devra connaître les principes de l’agriculture, du commerce, de l’art, de la police et l’éducation des enfants.

Il suffit de remplacer Prince par Manager et l’analogie « fonctionne », sans trop craindre de l’anachronisme que nous impose 25 siècles de distance temporelle.

Toutefois, l’étude de l’Odyssée et du Voyage de Télémaque (Fénelon) montre que ce que conte Homère ne sont ni des principes moraux, ni un idéal de la cité, ni un éloge du discours (logos) ou de la connaissance (au sens de l’épistèmê, l’étude de la connaissance), ni même encore ce qui viendra avec Platon, le culte de la perfection que fonde la mathématique (mathesis), mais bien la manière dont on expérimente la quête et l’errance, qui se traduirait aujourd’hui : « quelle décision prendre ? Où en sommes-nous ? Quelles opportunités ? etc. ».

Homère narre l’endurance rusée d’Ulysse, de Télémaque et de Pénélope dans leurs épreuves et leur souhait de retrouver par la conquête et la paix, leur foyer. Ce n’est (donc) pas la conquête guerrière d’une armée égale à une autre qui se réalise[5], mais la reconquête d’un royaume où la situation est inéquitable autant qu’inacceptable. C’est ici que la ruse (mètis) et la prudence avisée (phronimos), permettent de rendre victorieux Ulysse sur le pouvoir installé : le nombre de prétendants et leurs actes impies (Chant II, v. 233). Mentor ne s’inscrit ni dans une démarche de quête de sens personnelle, ni dans une investigation en soi visant à se connaître, mais dans une reconquête d’un foyer occupé par un groupe dont l’intention est sans ambigüité, que l’un d’entre eux prenne le pouvoir, épouser Pénélope et écarter le jeune prince.

Chez Homère, pour qui la quête est une question de religion entre les hommes et les dieux, l’enseignement offert au jeune noble s’opère par l’expérience, la confrontation au monde et en conséquence, l’impératif de s’y adapter (polymètis), de s’y mouvoir, de se transformer afin de maintenir sa place sur le trône.

L’enseignement reçu de Télémaque par Mentor/Athéna est similaire à celui qu’offre en son temps Nestor, autre Maître en mètis, à Antiloque[6] pour triompher de Ménélas. Il faut un accompagnement habile propre à déjouer les écueils des hommes, des dieux et des éléments.

Nestor confère d’habiles conseils afin de gagner la course face à des compétiteurs plus puissants et plus expérimentés. Bien qu’Antiloque fut éduqué par Zeus et Poséidon dans l’art de conduire un char, son père affute ses connaissances afin qu’une fois sur le champ de course (les trois kairois), il puisse s’assurer la victoire : 1/ Aphésis (le départ) ; 2/ kamptron (le tournant) ; 3/ térma (la ligne d’arrivée). Lesté d’une expérience (leptē) tentaculaire forgée par une vue perçante et un regard aiguë (oxú), il offre au jeune coach les conseils avisés forgés par et dans le voyage et l’expérimentation. Dans l’extrait de l’Iliade, Nestor le grand polumètis, dit :

Antiloque, tu fus dès ta jeunesse aimé de Zeus et de Poséidon, et ces dieux t’enseignèrent toutes les façons de diriger les chars. Aussi n’est-t-il pas grand besoin de t’instruire. Tu sais bien faire tourner ton char autour des bornes. Mais tes chevaux sont très lents à la course, et je pressens par là quelque malheur. Tes concurrents ont des chevaux plus prompts, mais ils ne savent mettre en œuvre plus d’adresse que toi. Courage donc, ami ; rappelle en ton âme tous les moyens d’adresse, afin que les prix ne t’échappent pas. C’est par l’adresse que le bûcheron prévaut sur ses rivaux, plutôt que par la force. C’est à force d’adresse que le pilote dirige sur la mer couleur de lie de vin une nef agile, ballottée par les vents. C’est par adresse enfin que le cocher surpasse le cocher […]

L’école actuelle fait l’éloge de l’analyse (analusis), là où l’école des anciens grecs encourageaient la connaissance conjecturale (eikázein) :

« La connaissance conjecturale (eikázein), procède par le détour d’une comparaison qui permet de saisir un événement inconnu à l’aide d’une ressemblance avec un événement familier » (Détienne & Vernant 1974, p. 302).

L’une est invariablement déterminée par une vérité, l’autre est invariablement indéterminée par les situations.  Aujourd’hui, nous accordons nos décisions à notre intellect, à des outils d’aides à la décision, que nous pourrons sans ironie comparer aux oracles d’antan. Les grecs autant que les chinois plaçaient leur « confiance » dans la qualité de leurs observations, de leur discernement, de leur perspicuité. Aujourd’hui, nous sommes englués dans notre « être », avec d’un côté son côté noble (la mathesis), de l’autre son côté faible (le pathos).

Voici quelles pourraient être sept grandes habiletés issues de la mètis conduisant à ladite connaissance conjecturale  :

1/ conjecturer (tekmairesthai) ;

2/ lester la mètis du poids de l’expérience (leptē) ;

3/ voir en même temps devant et derrière, c’est-à-dire avoir l’expérience du passé pour deviner ce qui va se passer (háma próssō kaì opíssō) ;

4/ deviner et se faire la plus juste des idées sur les perspectives les plus étendues (eikázein) ;

5/ connaître les tours (kérdē) ;

6/ capacité à utiliser une pensée « dense », « touffue », « serrée » par  l’expérience capitalisée (pukinē) ;

7/ capacité à percevoir en rapprochant l’avenir du passé  (hama próssō kaì opíssō leússei).

 

Il est toujours étonnant de regarder les managers se mettre en tension lorsque j’évoque la feinte ou la ruse. Ils associent ces mots à l’immoralité, à un manque d’éthique. Ils confondent l’intention et l’usage. Mais une fois qu’ils perçoivent la nuance autant que l’écart, un verrou saute et le champ des possibles s’ouvre. Le « formatage » de pensée du manager réduit à : analyse de problème, solution, outils, objectifs, plan, etc. a handicapé les entreprises en créant une forme de schizophrénie de l’éthique. Seul l’esprit brillant peut réussir et être valorisé s’il démontre sa capacité à appliquer les modalités opératoires qu’impliquent ces mots ; mais c’est ici une démarche médiocre (mediocritas, qui s’arrête à moitié du chemin). D’une part parce que, je le répète, les gens brillants n’éclairent personne, puisqu’ils reflètent les idées validées (les Vérités), alors que les transformations nécessitent des personnes éclairantes, celles qui vont trouver, mettre en lumière, non par la démonstration, mais la pensée éclairée d’une observation fine et stratégique. Il faut des gens brillants, autant qu’il faut des personnes éclairantes. Elles sont rarement les « mêmes ».

8. En quoi certaines approches et pratiques occidentales peuvent-elles être contreproductives

: En quoi, selon vous, certaines approches et pratiques occidentales peuvent-elles être contreproductives ? En quoi, les enseignements tirés de vos travaux peuvent-ils aider un entrepreneur, voire chacun de nous, dans sa démarche d’action ?

Au cours des 50 dernières années, nous avons réduit  considérablement notre densité sémantique, et par conséquent notre potentiel d’observation et de discernement, perdu au profit de nos « points de vue » (idein). Nous sommes dans une culture du débat, de l’opinion, de l’Être fort et courageux (leaders). Les entrepreneurs sont pétris d’injonctions : soit courageux, ait des objectifs élevés, développe ton intelligence émotionnelle, ton leadership, apprend à échouer, soit efficace, gère tes émotions, soit empathique, etc. Le problème de ces termes et de ces syntagmes, outre, leur élaboration confondant métaphores et erreurs de sens, conduit l’entrepreneur, l’entrepreneuse à passer plus de temps à « réfléchir » à tout ce qu’elle ou il doit être et savoir-être que d’observer et d’appréhender ce qui dans le Procès peut lui être utile.

Le procès et les potentiels s’indiffèrent de qui vous Êtes ou de vos émotions. Si le vent souffle, que vous êtes en mer, vous déployez les voiles, voici ce qui vous faut apprendre à identifier. Si au loin l’horizon s’obscurcit, alors sur votre surf, vous avancez vers le lointain profond afin de vous rapprocher de l’onde, là où le commun attend près de la côte.

Les entrepreneuses et entrepreneurs pour la plupart, développent ce sens de la mètis. Ils cherchent le chemin le plus court, font preuve de débrouillardise, ils font bien et beau avec ce qu’ils ont. Ils ne délèguent pas leurs incapacités au budget manquant ou au manque de personnel.

Il leur faudrait renforcer leur connaissance de la mètis non pas se justifier, comme je le vois souvent, de cette ruse habile qu’ils pensent compenser par manque de diplôme pour nombre d’entre eux, mais pour devenir compétents de celle-ci. Mètis et légitimité (legitimus, acquis de droit divin) n’ont rien à voir. La mètis conduit à l’autorité (auctoritas, celui qui a fait le chemin), car celui et celle qui aont fait le chemin, dépassés les épreuves, contournés autant que traités les problèmes du réel par son ingéniosité situationnelle, ceux-là font autorité.

 9. L’accueil réservé à ces notions

: Il est clair que nombre de ces notions viennent en opposition de schémas de pensée et d’action profondément ancrés dans nombres de nos comportements.

Elles sont complexes et, largement contre intuitives pour un occidental. Elles sont radicalement l’opposé de nombre d’enseignements dispensés en occident et vont à l’encontre de pratiques largement implantées.

L’image du surfer, particulièrement illustrante de vos conclusions, n’est pas celle que la plupart des dirigeants veulent donner. Le surfer est perçu comme un dilettante et en recherche d’une totale liberté. Ce n’est pas vraiment l’image du monde de l’entreprise.

 Quels accueils rencontrez-vous lorsque vous abordez ces notions et auprès de qui ?

L’accueil est positif auprès des managers et des décideurs, parce que l’étude est sérieuse, la pratique est concrète et que le référentiel est directement issu de notre Histoire autant que celle de la Chine antique.

J’ai la pratique de mon étude. Que cela soit en tant qu’entrepreneur, de chercheur et d’homme, j’ai cherché dans l’histoire ce qui pouvait m’être utile aujourd’hui. Ressourcer la pensée avec les langues anciennes, et celles d’ailleurs, permet de potentialiser l’esprit et son aptitude à percevoir avec une granularité fine les choses et les situations. C’est ce que j’appelle développer une « pensée en 4K ».

Nous avons formé plus de 600 managers entre 2019 et 2021 à de nouvelles compétences telles que : observer, décrire, nommer, expliciter, potentialiser, actualiser. Je dis « nouvelle », mais ces compétences sont en réalité très anciennes. Je n’ai rien inventé. Elles ont été perdues au profit de concepts simplifiant tels que réfléchir, analyser, comprendre, ressentir, fixer des objectifs, eux-mêmes hypertrophiés par un identitarisme inapproprié. etc.

Notre culture française a encouragé et favorisé toutes les pensées valorisées par les mathématiques et la linguistique ; elle a banni, méprisé, moqué toutes les habiletés anciennes et pourtant fondamentales sans lesquelles aucune Société ne peut se développer.

Il suffira de remonter à Adam Smith (18ème siècle) et prendre le temps d’investiguer ses travaux exceptionnels pour retrouver une qualité de pensée tressant pragmatisme, discernement, sagesse, dextérité, habiletés et perspicuité sur les champs de l’activité humaine et économique[7].

 De plus en plus d’organisations se détournent de ces seuls concepts pour accompagner les personnes. Elles savent désormais que ces mots sont englués dans une pensée abstraite et incomplète ; il manque « quelque chose » d’autre.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas savoir analyser, mais il faut savoir recourir à l’analyse quand une vérité est connue, sinon, il faut apprendre à corréler, à concorder, à apparier, etc. Mais qui maîtrise de telles nuances ?

La stratégie n’est pas l’affaire de l’analyse, mais de la corrélation et de la concordance que l’observation seule permet de nourrir avec qualité.

10. Comment les diffuser ?

Vous êtes convaincus de la pertinence et de l’efficience de ces notions. Dans le souhait de porter ces notions à la connaissance du plus grand nombre, lesquelles vous paraissent être la meilleure façon de les diffuser et auprès de quels publics ?

 Je ne sais pas si je suis convaincu (au sens de convaincre). Je mets en pratique cette ressource extraordinaire que l’histoire nous tend sur un plateau. Elle nous dit : « humains d’aujourd’hui, regardez ce que les humains du passé ont su élaborer. Regardez l’extraordinaire richesse de pensée et de pratique. Pourquoi donc êtes-vous rivé sur des écrans de 8 à 12 cm carré alors que vos yeux, vos sens sont des atouts incroyables pour percevoir ce que le monde réel vous offre ».

Je cherche à écouter, et à réapprendre ce que nous avons perdu en route. Cette route finalement courte puisque l’étude montre qu’en 150 ans, nous avons opéré un réductionnisme alarmant à de nombreux niveaux. L’explosion technologique et ses promesses sont en vérité des mirages, car en déléguant aux machines notre humanité et sa mémoire, nous asséchons notre esprit comme on assèche une terre.

Entrepreneur certes, je suis tout autant un scientifique. La reproductibilité et l’utilité relatifs aux sujets étudiés et observés m’intéressent pour leur usage.

L’étude est bien sûr fascinante, les découvertes tout autant, mais pour intéresser le grand public, il convient de rendre accessible avec simplicité la masse titanesque de données offerte par l’Histoire au plus grand nombre, sans la réduire à peau de chagrin, sans la dévoyer, sans la dissoudre dans la commodité des opinions individuelles qui finissent par devenir les vérités générales. C’est ce que je tâche de faire par exemple avec ma série, « J’ai 2 mots à vous dire », dans mes conférences, avec notre entreprise TalentReveal.

Notre Société fait preuve d’une présomption que la vanité nous encourage à développer. Ego, ce « je » finalement très encombrant nous obstrue les ressources que l’histoire nous offre en trésor. Le « je » est au cerveau ce que le sucre est à la nourriture, c’est bon, ça fait du bien, mais ça finit par donner des carries à l’esprit. Le cerveau occidental a beaucoup de carries, mais comme il aime le sucre, ce n’est pas près de s’arrêter.

Ressourcer notre langage, revisiter notre histoire, non comme un passé révolu, mais comme un trésor aux richesses illimitées, voici ce qu’il convient de réintroduire dans les organisations. En donnant à « manger » plus sain, et non en continuant à produire une « malbouffe » intellectuelle, il est possible en quelques semaines à peine – c’est fascinant de le constater – de constater des évolutions majeures en terme de climat social, de souplesse, de performance.

Depuis 12 mois, plusieurs organisations m’ont demandé de les aider à ressourcer leur sémantique pour retrouver du sens. Les mots de stratégie, de communauté, de compétence, d’entrepreneur, vision etc. font partie des mots étudiés. Les personnes sont fascinées de redécouvrir le sens correct et exact des mots ; moi aussi J

Car comment mobiliser notre humanité moderne dans le temps, comment donner du sens si l’on ne sait pas d’où l’on pense, comment l’on pense ? enfin, comment prétendre à une vision du futur si l’on n’a pas la vision de l’histoire. Car, puis-je le répéter, il ne peut y avoir de vision si l’on a l’amnésie du passé. Il en faut de la matière et de la densité pour élaborer une vision tenable pour l’avenir.

 

[1] Je m’appuie sur 10 années de pratique de de surf dans notre région : la Bretagne (Quiberon, Côte Sauvage).

[2] Technique utilisée dans certains sports de glisse : surf, bmx, skate-board. Le principe est de s’alléger lorsqu’il y a montée et appuyer fort sur la planche, les pédales lorsqu’il y a descente. Le terrain est : une vague, une pente, une rampe (forme en U).

[3] Inspiré de Rivarol, in Larousse, 1866, p. 314, C-1

[4] Le mot perspicuité (perspicuitas) est inusité depuis plus d’un siècle, et pourtant il signifie une pensée claire, transparente. Il a donné lieu au figuré à « évidence » (ce qui ne se pense plus), mais ce faisant, on a oublié que le mot évidence implique une connaissance claire des choses. Son origine trouve son sens dans les eaux si claires et si transparentes que l’on pouvait compter les cailloux de leur lit profond (Grand Dictionnaire de la Langue Latine, 1862, p. 776

[5]     Qu’organiserait une tactique de la phalange.

[6] Je fais référence à l’épreuve de course où Nestor confère les conseils utiles à Antiloque pour que ce dernier triomphe des autres compétiteurs, dont Ménélas : «  […] Quand à celui qui sait quel est son avantage, tout en poussant des chevaux inférieurs, il ne quitte point la borne du regard et la tourne de près ; il n’oublie pas non plus comment il faut au début, sous les rênes de cuir, allonger le galop ; puis il conduit son char sans broncher et il observe celui qui le précède […] » (Il. XXIII, 507-509).

[7] Il est toutefois regrettable de constater à quel point Smith, outre les erreurs de traductions et d’interprétations a été à ce point dévoyer dans ses propositions et ses théories. Je fais entre référence à son travail : les Sentiment Moraux et Sa Richesse des Nations.

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