
Un praticien au cœur des vulnérabilités organisationnelles
François Chauvin n’est pas un théoricien en chambre. Fort d’une expérience multiforme – responsable RH, chef d’établissement, manager de projets immobiliers, intervenant dans le secteur du handicap – ce formateur et coach a côtoyé la fragilité sous toutes ses formes : dans les usines, sur les chantiers, au sein d’équipes confrontées à des contextes économiques difficiles. Son livre Faire avec la fragilité résulte d’une enquête approfondie menée auprès de 37 témoins : chercheurs, DRH, dirigeants, syndicalistes, artistes, sportifs, et même un moine zen. Cette diversité de regards constitue la richesse d’un ouvrage qui refuse les recettes toutes faites pour privilégier l’expérience incarnée.
Un voyage en fragilité
François Chauvin nous offre avec son livre « Faire avec la fragilité » publié aux éditions EMS un voyage en fragilité. Tout au long du chemin, il nous propose de découvrir et de visiter chacune des situations de fragilité d’une organisation, d’une équipe, d’un collaborateur, et des nôtres en réaction à ces fragilités — sans oublier d’explorer nos propres fêlures. Ce voyage nous fait prendre conscience que, pour « allier la robustesse à la performance », il nous faut faire évoluer nos représentations de la fragilité et intégrer cette fragilité non comme un accident, mais comme une donnée du management. Ce qui paraît évident au niveau personnel — bien que souvent nié tant l’image du manager-héros a été entretenue — devient plus déroutant lorsque Chauvin montre avec pertinence que la fragilité doit aussi être prise en compte au niveau stratégique, organisationnel et culturel de l’entreprise.
De la négation à l’intégration
La proposition centrale de François Chauvin bouleverse les fondamentaux du management classique : au lieu de combattre ou de nier la fragilité, il faut apprendre à faire avec. L’auteur distingue la fragilité (constitution interne de faible résistance) de la vulnérabilité (exposition à un danger extérieur) et montre leur interaction permanente. Selon l’étude Malakoff Humanis citée, 44 % des managers estiment qu’au moins une personne dans leur entreprise est en situation de vulnérabilité professionnelle, et près de 7 sur 10 identifient des fragilités personnelles parmi leurs collaborateurs.
Cette fragilité n’est donc pas une faiblesse à éradiquer, mais une donnée à intégrer dans les stratégies et les pratiques managériales. Pour François Chauvin, une entreprise performante n’est durablement robuste que si elle assume ses zones de fragilité.
La métaphore du Kintsugi
À l’image du Kintsugi japonais – cet art de réparer les céramiques brisées avec de la laque saupoudrée d’or – le livre ne fait pas l’éloge d’une posture victimaire mais propose d’assumer nos cicatrices pour en faire une force. En management, reconnaître les fragilités partagées permet de construire des relations authentiques et des collectifs solides. Ainsi et de manière contre intuitive, accueillir nos faiblesses nous renforce.
Les idées-forces d’un management conscient
-
La fragilité crée des relations authentiques. En acceptant nos limites, nous ouvrons la voie à la confiance et à la coopération véritable.
-
Le “non-agir” comme compétence managériale. Inspiré du taoïsme, François Chauvin montre que savoir attendre, écouter, et accueillir l’imprévisible peut être plus fécond que l’hyper-contrôle.
-
L’imperfection comme moteur de développement. Le perfectionnisme fragilise ; le « suffisant collectif » renforce.
-
La gratitude comme antidote. La joie et la reconnaissance des contributions consolident la résilience collective.
Chaque chapitre est une étape sur ce chemin de découverte. Chacun mêle théorie, témoignages et pratiques, avec des questions pour l’auto-analyse du lecteur.
L’ouvrage se garde d’un éloge naïf de la fragilité mais ouvre une L’ouvrage se garde d’un éloge naïf de la fragilité mais ouvre un débat essentiel. Le risque d’une psychologisation excessive existe, tout comme celui d’un idéalisme difficile à concrétiser dans certains contextes industriels ou hiérarchiques. Mais le message demeure puissant : la fragilité n’est pas un défaut à corriger, c’est une composante de l’humain et, à ce titre, une ressource de management.
Un appel à la conversion du regard
François Chauvin ne propose ni recette ni modèle. Il invite à un changement de regard : passer de la fragilité-problème à la fragilité-donnée, de la fragilité-faiblesse à la fragilité-ressource. À l’instar du Kintsugi, il nous rappelle que la solidité naît de la reconnaissance des fissures, non de leur déni.
Ce voyage en fragilité, en nous apprenant à « faire avec », nous renforce.


