Il est frappant de constater que le plus souvent l’on ne parle de nudge qu’en l’associant à une recherche d’évolution vers des comportements vertueux (réduire sa vitesse, manger sain, viser l’urinoir, …).
Pourquoi ne pas reconnaitre que le nudge n’est qu’une technique particulière d’influence qui peut être utilisée pour le soi-disant meilleur ou pour le pire mais est bien dans tous les cas manipulation en cherchant un changement de comportement non consciente et donc non volontaire ?
Faut-il dès lors opposer le nudge (citoyen et vertueux) au marketing (vendeur compulsif et sournois) ? Nudge et Publicité se rejoignent en cherchant à dicter un comportement « public ».
Un inconscient conditionné
Une étude citée dans de n°51 du magazine de l’inserm du 9/11/2021 évoque les effets limités des nudges en matière de changement des habitudes alimentaires.
Comment s’en étonner ? Le nudge qui vous tient par la main, à votre insu au moment de l’acte, vous lâche la main aussitôt l’acte réalisé. Il ne pourra agir à nouveau que s’il est, à nouveau et toujours, présent aux prochains actes identiques.
Tous comptes faits, le nudge est moins efficace que la publicité à laquelle nous somme soumis en permanence et qui trouve son efficacité dans l’incitation du consommateur à un achat en reportant son plaisir au moment où il achètera et consommera le produit devenu son désir.
Il est difficile, voire erroné, d’assimiler, comme le fait l’article cité, l’étiquetage alimentaire identifiant les produits moins gras et sucrés ou l’incitation de manger cinq fruits et légumes par jour comme relevant du nudge. Dans ces deux cas, l’éventuel changement de comportement dans l’acte de consommation, s’il advient, passe par un traitement d’une information par le consommateur. Un tel traitement n’a rien d’inconscient tout à la différence d’un acte (inconsciemment) dicté par un nudge.
De la désirabilité du nudge ? Une victoire de l’inconscient ou une victoire sur l’inconscient ?
Faut-il se réjouir de réussir à amener un enfant à moins manger à la cantine en le servant dans des assiettes plus petites ? Sa satiété inconsciente disparaitra dès qu’une assiette plus grande lui sera servie. Voilà un beau succès éducatif ! Belle victoire de l’inconscient. Ne vaudrait il pas mieux se réjouir d’une victoire sur l’inconscient ?
Mais il y faut alors une remise en cause d’éléments du système dans lequel l’individu est inséré et en faire un acteur (et en tant que tel conscient de ses actes) de l’évolution de ce système. L’article cité rappelle opportunément en effet que : « Beaucoup des facteurs qui expliquent les choix néfastes de certaines personnes vis-à-vis de leur santé sont liés à leur habitat, leur statut socioéconomique, leur profession,…. Les nudges n’ont pas d’impact sur les conditions sociales d’existence, comme le pouvoir d’achat. Fonder une politique de santé publique sur les nudges est un projet minimaliste, qui renonce de fait à transformer la société. »
Du nudge au marketing avec son faux nez « social »
Pour aller au-delà des nudges et de leurs limites, l’article prône le recours au marketing qu’il qualifie de « social » pour, comme pour le nudge, l’affubler d’un habit présentable.
Attention car là encore la dimension « influence » et « conditionnement » peuvent prévaloir en privilégiant et induisant un comportement « socialement » normé et promu par les techniques « manipulatoires » du marketing. Ce n’est là qu’apporter une preuve de plus que, dans leur combat commun, le marketing l’emporte en efficacité sur le nudge.
Parler de marketing social questionne. On pourrait s’en réjouir au vu de la visée positive d’un comportement dit positif et socialement responsable. Mais dans ce cas et par extension, faut-il considérer – pour s’en réjouir- que l’école et tout le système d’enseignement sont des outils marketing ?
A supposer qu’ils le soient, ils échoueraient dans leur mission de développement d’individus et de citoyens conscients et responsables de leurs actes.
Faut-il se réjouir d’une société dans laquelle chacun de nous serait inconsciemment et à son insu « conforme » à la norme et d’une certaine manière « non coupable mais non responsable » ?
Une fois de plus, le salut est dans le système hôte d’une action consciente et responsable.
L’article par sa conclusion le rappelle : « Sans prise en compte de tous les déterminants sociaux de la santé, pas de salut. ». Il est donc bien certain que l’action de responsabilisation consciente passe par la prise en compte du système dans lequel l’action de l’individu trouve sa place et l’individu d’ »agi inconsciemment » devient « acteur et responsable ».