Réflexion critique sur le biais cognitif de cadrage
Le biais de cadrage, tel que présenté par Eric Baudet dans son post « Biais cognitifs – L(influence de la formulation dans nos prises de décision – le biais de cadrage », met en lumière une limite fondamentale de notre fonctionnement cognitif : nous ne percevons pas les faits en eux-mêmes, mais à travers le prisme de la manière dont ils sont formulés, contextualisés, ou « encadrés ». Cette distorsion, souvent invisible, influence nos jugements, nos décisions, nos émotions — et peut même orienter nos croyances.
Ce phénomène n’est pas marginal : il structure notre rapport au monde, aux autres, et à nous-mêmes. Lorsqu’une information est formulée en termes de gains, nous sommes enclins à prendre des risques. Si la même est présentée sous l’angle des pertes, nous devenons prudents, voire paralysés. Le contenu ne change pas, mais notre réaction, elle, est radicalement différente.
L’analogie avec l’encadrement artistique
Ce biais peut être éclairé par une analogie artistique : celle de l’encadreur de tableau. Ce dernier ne se contente pas de protéger l’œuvre, il en oriente la lecture, la signification, la valeur perçue. Un cadre doré confère à l’œuvre un statut patrimonial ; une caisse américaine, une modernité épurée. Le même tableau, selon le cadre, ne raconte pas la même histoire.
De la même manière, nos pensées sont encadrées : par notre culture, nos expériences, nos émotions, nos filtres médiatiques et sociaux. Nous regardons toujours la réalité à travers un cadre, souvent invisible à nos yeux. Et ce cadre, comme en art, peut à la fois révéler ou déformer, élever ou trahir ce qu’il contient.
Vers une lucidité cognitive : comment élargir notre champ de vision ?
Plutôt que de chercher à abolir ces cadres — chose impossible tant ils sont constitutifs de notre humanité — nous pouvons tenter de les rendre visibles, de les comparer, voire de les dépasser. Voici quelques pistes :
- Identifier le cadre
- Se demander : Comment cette information est-elle présentée ?
- Est-ce un langage de peur ou d’espoir ? Est-ce formulé en termes de perte ou de gain ? D’opposition ou de nuance ?
- Changer de perspective
- Pratiquer le « changement de lunettes » : reformuler les problèmes à l’envers, ou depuis un autre point de vue (autre culture, autre époque, autre discipline).
- Diversifier les sources
- Lire des points de vue contradictoires, sortir de nos bulles informationnelles et cognitives.
- S’exercer à la pensée critique
- Questionner les intentions derrière les messages, repérer les effets rhétoriques, distinguer les faits des interprétations.
- Accepter nos angles morts
- Reconnaître que même l’effort d’objectivité est un prisme, et qu’aucune vision n’est totale. Toute représentation du réel est une réduction.
Sortons du cadre avec lucidité et humilité
Le biais de cadrage ne doit pas être vu comme une erreur honteuse de notre cognition, mais comme une invitation à l’humilité. Il nous rappelle que nous ne voyons jamais la réalité « toute entière », seulement ce que notre champ de vision — sensoriel, émotionnel, culturel — nous permet d’en percevoir.
Alors sortons du cadre — ou du moins, prenons conscience de son existence. Déplaçons-le, élargissons-le, superposons-en plusieurs, et surtout ne le confondons jamais avec la totalité du réel.
Sortons du cadre et prenons la totalité de la réalité, tout en reconnaissant qu’en tant qu’humains, nous n’avons toujours qu’une vision de cette réalité limitée par notre champ de vision.